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Le Petit Marseillais, 7 août 1909

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Le Petit Marseillais
7 août 1909


Extrait du journal

Citoyens, et vous surtout, citoyennes, j’ai l’honneur de vous révéler que, en France, pays où l’on se moque de tout, des mères de famille ont eu l’incroyable courage de former une Ligue contre le corset. J’ai l’honneur également de vous apprendre que je n’en ferai jamais par tie et que même je m’emploierai de toutes mes forces pour qu’elle n’ait aucun suc cès. Les lignes qui suivent ont pour objet de vous expliquer pourquoi. -H4HII est parfaitement vrai que le corset est un instrument de torture. Il est par faitement exact qu'il est ridicule, mal sain et anti-naturel. Il est absolument certain qu’il déforme le thorax, entrave la respiration, gêne la circulation, déplace tous les organes et atrophie les muscles. La Vénus de Milo, réduite à ia taille ordinaire et laissée, si j’ose m’ex primer ainsi, en liberté, aurait un tour de taille de 80 centimètres. Dotée d’un corset dès son plus jeune âge, elle rédui rait ce tour de taille à 55 centimètres. Mais elle aurait, si je puis employer cette phrase quand il s’agit de taille, une bonne tête et donnerait à rire à tous les sculpteurs. Les artistes savent, en effet, quelle peine on a maintenant à se pro curer des modèles qui ne soient pas déformés. On ne les trouve plus guère que chez des professionnelles de la pose, qui ne portent pas de corset, préci sément pour conserver la vraie beauté. Mais neuf fois sur dix, une femme du monde ou une bourgeoise, mise dans le costume de la Vénus de Milo, a l’air cou pée en deux. C’est ce qu’on appelle la taille de guêpe : elle n’est acceptable que voilée d’une jupe ou d’un corsage. Au contraire, à cru — je ne sais pas si je me fais bien comprendre — elle a quelque chose de risible. Il est également certain que le corset, appliqué exactement au corps, et serré comme il doit l’être pour remplir son rôle de corset, met toutes les surfaces de peau qu’il recouvre dans les conditions physiologiques les plus déplorables. En effet, cette peau infortunée ne peut plus respirer,ne peut plus agir comme émonctoire des déchets organiques. Il en résulte que dans les parties les plus ser rées, elle se ternit, prend une teinte sale, et devient plus ou moins rugueuse, avec amaigrissement et atrophie de la paroi. Les muscles de celle-ci finissent par dis paraître ; elle n’est plus composée que de graisse, de derme et d’épiderme. Que la femme vieillisse un peu, et vous m’en direz des nouvelles ! Il y a toujours un moment où elle est forcée d’enlever son corset : ce n’est pas alors un spectacle agréable à voir 1 La vérité est que le corset n’est utile qu’aux couturières- Si on le supprimait, aucune des toilettes qu’on fait depuis quatre siècles n’aurait plus aucune espèce de forme. C’est seulement sur un mannequin quasi rigide qu’elles peuvent plaquer convenablement,non pas sur un corps souple. Le corset supprimé, on reviendrait aux étoffes drapées naturel lement, et le goût, le génie personnel de chaque femme pourrait lui servir pres que exclusivement de couturier. Il faut donc admettre qu’une industrie bien française traverserait une crise. Ce serait alors par patriotisme que les femmes conservent leur corset. Je tiens à les féliciter de ce courage, car je dois avouer que si j’étais femme, je ferais partie de la ligue, je réclamerais la suppression de cet insupportable objet de toilette. Mais je suis un homme et, par consé quent, mes intérêts sont tout différents. Rien ne me parait, en effet, plus impor tant pour mon sexe que les efforts faits par les femmes pour conquérir des situa tions qui, jusqu’à présent,étaient demeu rées notre apanage : elles veulent être avocates, doctoresses en médecine, sta tuaires, peintres et femmes de lettres. Or la Ligue contre le corset le proclame et le démontre : le corset est funeste aux intel ligences féminines ! Rien n’est plus évident, et les raisons en sont nombreuses. Je vais prendre un exemple qui est, je crois, assez frappant : beaucoup de personnes savent mainte nant ce que c’est que les végétations adé noïdes. Ce sont de petites tumeurs iner tes et bénignes qu’un assez grand nom bre d’enfants ont dans le nez ou dans l’arrière-gorge. Quand on opère ces tumeurs, on s’aperçoit que des enfants, jusque-là retardés dans leurs études, prennent une activité cérébrale impré vue. Ils travaillent mieux, ils pensent plus vite, ils deviennent brillants; et cela vient tout simplement de ce qu’ils respi rent avec plus d’aisance. On a vu égale ment des cas de neurasthénie guéris par la simple ablation des végétations adé noïdes, et pour la même raison. Or, la femme porte un corset qui l’empêche de respirer : elle est donc, elle aussi, dans un état physiologique qui l’empêche de penser,qui l’empêche d’être intelligente. Ce n’est pas tout : on n’a jamais que les idées des gestes qu’on fait. Par exem ple, si nous ne savions marcher, nous aurions une tout autre conception du mouvement que celle que nous possé dons. Supposons une plante douée d’un cerveau: que penserait-elle des objets qui se déplacent? Sans doute qu’ils sont fous, en tout cas que ça ne la regarde pas. La ....

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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