Extrait du journal

cie point de leur laisser sa fortune ; par contre, il est entouré de quelques amis et de quelques serviteurs fidèles, il ne veut pas mourir sans leur lais ser en souvenir un petit cadeau. Il se souvient également qu’il a pour fil leule une brave fille lui ayant toujours témoigné de l’affection, et qui se trouve, en outre, dans une situation assez précaire ; elle est seule avec sa mère qu’elle entretient par son travail, et c’est de cette filleule que notre homme veut faire sa légataire uni verselle. Il rédige son testament en conséquence, n’oubliant ni ses amis ni ses serviteurs, accordant même un pieux souvenir aux choses au milieu desquelles s’est écoulée son existence ou qui sont en quelque sorte son œuvre. Ainsi,pour que l’on ne touche point à la propriété où il a passé les meilleurs jours de sa vie, quTl a sans cesse agrandie et embellie, dont il a vu pousser les arbres, s’il ne les a plantés lui-même, il spécifie qu’une certaine somme sera placée d’une fa çon déterminée, afin que son revenu soit exclusivement consacré à l’en tretien de cette propriété qui ne devra ni être louée ni mise en vente. Et après avoir rtiinutieusement enregistré ses dernières volontés, entrant dans les détails les plus précis pour que celles-ci puissent être fidè lement exécutées par sa légataire, il met la date, ou mieux il croit la met tre, et il signe. Le notaire constate que l’acte est en bonne et due forme, ou du moins il le croit tel, et il assure à son client que maintenant il peut s’endormir dans la paix,du Seigneur. C’est ce qu’il ne manque pas de faire quelques mois après. Aussitôt le notaire ouvre le testament devant tous les intéressés et annonce à la filleule du défunt quelle jolie fortune vient do lui échoir de par la générosité de son parrain. Grande joie de l’héritière... mais, hélas 1 de courte durée. Les parents déshérités ont voulu voir, eux aussi, le testament et ils y ont découvert un vice de forme. Il n’y manque rien, si ce n’est le quantième du mois. Le mois est indiqué, l’année aussi, mais le jour ne l’est pas. Etait-ce le cinq, le douze ou le quatorze du dit mois delà dite année? Il n’en faut pas davantage pour que ce testament puisse être attaqué devant les tribunaux. Comme la loi est formelle à cet égard, comme le Code est inflexible sur ce point, les juges, qui n’ont à tenir compte que de la loi et du Code ot qui doivent abandonner tout senti ment humain en entrant dans le pré toire de la justice, annulent le testa ment et leur sentence est si savam ment, si impeccablement rédigée, qu’elle est inattaquable devant toute autre juridiction. Voilà donc les héritiers naturels en possession de l’héritage, dont ils sont libres de faire tel usage que bon leur semblera, sans le moindre souci des dernières volontés du défunt. E$ la fortune qui avait un instant arrêté sa roue à la porte de la pauvre fille dont la pensée remplissait si complète ment l’esprit du testateur, a repris sa route capricieuse. Au point de vue juridique tout cela est absolument correct, et assurément les juges qui ont rendu ce jugement sont sortis du tribunal la conscience très satisfaite de leur besogne ; en quoi ils ont eu parfaitement raison puis qu’ils venaient d’agir en vrais magis trats, insensibles à toute considération non codifiée. Et personne cri France, si ce n’est peut-être M. Magnaud, n’oserait trouver à redire à semblable jugement... Mais c’est égal, no trou vez-vous pas que la loi a une singu lière façon de garantir à tout citoyen le droit de disposer de ses biens après sa mort ? ADV....