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Le Petit Marseillais, 7 octobre 1923

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Le Petit Marseillais
7 octobre 1923


Extrait du journal

A la fin de septembre 1902, Emile Zola est mort, asphyxié par des émanations d oxyde de carbone. Le jour anniversaire de ce décès, à Médan, la résidence intellectuelle du maître, dans la maison qu il avait fait construire à grands frais et où il travailla pendant la meilleure époque de sa vie, les fidèles de son art, de sa politique, ses amis intimes se donnent pieusement rendez-vous. Là, ils honorent sa mémoire. C’est encore une manière d hommage que de rappeler ici, de loin, les débuts incertains et pénibles, les vastes espoirs, les pressentiments secrets de l’auteur des Rougon-M acquart, et somment, tout jeune, dès 1800, il cherchait la renommée sous la menace d’une inéluctable fatalité. Ij63 Lettres de Jeunesse, trop peu consultées par les nombreux écrivains d’études sur Emile Zola, fournissent des documents précieux, indiscutables. Ces lettres sont adressées à Joseph Baille, à Paul Cézanne, à Antony Valabrègue, trois amis que Zola laissa dans la ville d’Aix quand, âgé de dix-neuf ans, il vint à Paris pour finir ses études. Avec ces trois familiers, il s’épanche librement, dit ses misères grandes autant que ses ambitions, la ténacité aussi « pour se faire un nom dans l’histoire des lettres ». D’abord, il faut vivre. Par quels moyens ? Il est à la charge de sa mère et supporte mal cette dépendance. « Si je n’avais pas ma mère, dit-il, je me serais fait soldat. » Non. Il préfère entrer dans un bureau. Employé aux Docks de la Douane, résigné à des travaux insipides, gagnant à peine de quoi manger et se lamentant sur sa servitude, il rime, rime éperdument : \'Aérienne, Paolo, une épopée sur Jeanne d’Arc, discute sur la métrique, avec un Art -poétique universel rêve de mettre la poésie et la philosophie d’accord avec la science. Entre-temps, il écrit des couplets de romance : Le Beau Nuage, que son ami Marguery met en musique et publie dans le Journal du Dimanche; Ce que je rêve, vers sentimentaux dont il se souviendra toujours avec tendresse, puisqu’il les fera insérer par Paul Alexis, dans le volume intitulé : Emile Zola, notes d’un ami, et les écrira sur un éventail sollicité par Mme Floquet. vendeuse au comptoir d’une fête de charité. L’œuvre qu’il préfère, c’est la Chaîne des Etres, poème cyclique, « mirifique idée, on ne peut le nier », car ces alexandrins doivent « raconter tous les bouleversements du globe, la naissance le l’humanité, ce que la physiologie nous apprend de l’homme physique, ce que la philosophie nous apprend de l’homme moral ». En conclusion, il imaginait que, après la disparition de la race humaine, de nouveaux êtres, de plus en plus parfaits, habiteraient notre planète ; et, d’avance, il décrivait leurs formes, leurs mœurs. Ainsi, déjà, il laissait voir en lui le constructeur aux grands projets qui, plus tard, docile à la méthode de Taine, entreprendra des romans où tout entre : « Une étude nouvelle de l’homme physiologique, le rôle tout-puissant rendu aux milieux, la vaste nature éternellement en création ; la vie enfin, la Vie universelle qui va d’un bout de l’animalité à l’autre, sans haut ni bas, sans beauté ni laideur ; et les audaces de la langue, et la conviction que l’on peut tout dire. » En vertu de cette doctrine, il inventa les « Rougon-M acquart, histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire ». Le plan, qui s’arrêtait d’abord an désastre de Sedan et à la chute de Napoléon III, s’agrandit par la suite, fut augmenté en épisodes et en personnages pour le mieux ajuster à l’actualité et aux modes littéraires du moment. Du reste, le 4 avril 1867, dans une lettre adressée à Antony Valabrègue, Zola déclarait ; « J’ai besoin de la foule, ie vais à elle comme je peux ; je tente tous les moyens de la dompter. » En effet, à la Bibliothèque nationale, parmi les manuscrits donnés et rendus publics, par Mme Emile Zola, au cours des notes prises pour la rédaction du Rêve, on rencontre ces phrases caractéristiques : « Je voudrais faire un livre qu’on n’attende pas de moi. Il faudrait, pour première condition, qu’il pût être mis dans toutes les mains, même les mains des jeunes filles. Donc, pas de passion violente, rien qu’une idylle. On a dit que le succès, le livre attendu, veux-je dire, serait Paul et Virginie refait.; Refaisons-donc Paul et Virginie. En s’étudiant & recommencer Paul et Virginie, Zola, après bien des années, réalisait une idée qu’il avait eue, en 1860, quand,rue Neuve-Saint-Etienne-du-Mont, il logeait dans un- belvédère glacial, habité jadis, disait-on, par Bernardin de Saint-Pierre ; quand « résolu à suivre jusqu’au bout sa devise « Tout ou Rien » ; « à faire hurler ou applaudir la foule à ses pieds », il s’avouait cependant tourmenté d’inquiétudes, et tremblait de devenir victime d’une prédestination d’outrages et de malheur qu’il souhaitait et redoutait tout ensemble. Evoquant des calomniateurs présents et futurs, il écrit : « J’ai conçu le projet de les écraser sous ma supériorité et de les faire ronger par ce serpent qui s’appelle l’envie. Si Dieu me donne un nom, je leur jetterai à mon tour, ce nom à la face, comme un sublime démenti à leurs sots mépris ». S’il confesse « désirer le murmure flatteur de la foule », ce n’est pas, dit-il, « pour contenter mon orgueil, mais pour faire grincer mes ennemis — hélas l j’en ai — » ; et mélancolique ment il ajoute : « Je sais bien que tout cela n’arrivera jamais ; que même si je me faisais un ■ou, il z aurait bien des sifflets parmi...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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