Extrait du journal
presque jamais cet enseignement n était confié à des hommes de notre nationa lité. Pour une bonne part, il avait été remis à des Suisses et à des Belges. Les romans de Edouard Rod, les livres de Maeterlink, les poètes belges, occupaient dans les bibliothèques des collèges une place dont nous étions autant dire exclus. Quand ce n’était pas un Suisse ou un Belge qui enseignait le français, c'était vn Allemand. L’érudition lui avait prêté un déguise ment pour se glisser, masqué, dans une place qui aurait dû nous être réservée. Je me souviens, entre autres expériences, d’avoir assisté, dans un collège à la mode, à une classe, où un Allemand faisait expliquer à des jeunes filles très lettrées la Chanson de Roland. !1 s’agissait de démontrer que nous n’étions môme plus capables de commenter nos chefs-d’œu; vre et d’en faire valoir l’esprit. Dans cette’ universelle conspiration, ourdie contre la France, un livre comme Le Roman de Tristan et Isevlt, de M. Bédier, éclata comme un projectile. Au milieu de tant de gaz délétères, élaborés par la science allemande, c’était un effort de vérité qui venait assainir un air devenu irrespirable. Millet éprouvait quelque irritation quand on lui parlait de Y Angélus. SullyPrud’homme se fâchait contre les igno rants qui ne connaissaient en lui que le poète du Vase Brisé. Je ne serais pas sur pris que M. Bédier éprouvât un senti ment analogue quand, de son œuvre si féconde et si haute, on a l’air de ne rete nir que ces pages inspirées. Le fait est qu’il n’en a point écrit qui aient mieux servi la France au dehors, éclairé d’une lumière plus vive la manie mensongère qu’avaient les Allemands de s’adjoindre comme propriété germanique toute gran deur profitable. Portée sur les ailes de la musique wagnérienne, l’admirable histoire de Tristan et d’Iseult avait pris pour l’univers l’as pect d’une inspiration allemande. Ceux et celles qui, le cœur battant, lurent le livret de l’érudit Français, distinguèrent que l’Allemagne s’était approprié cette richesse, ce trésor du cœur humain, de la même façon que, par un rapt, elle s’était annexé l’Alsace et la Lorraine. Il n’y a pas de petits vols et de petits mensonges. Il y a les honnêtes gens, les gens de vérité, puis les menteurs et les voleurs. Avant que l’on ait vu sur là Marne l’âme celtique triompher spirituel lement du matérialisme germanique, la passion que le monde témoigna pour l’œuvre de M. Bédier fut, dans le champ de l’érudition, c’est-à-dire de la culture moderne, une victoire française dont les conséquences ont été infinies. Il suffit d’une petite fenêtre ouverte du côté de l’aurore pour que s’éclaire l’obscurité d’une maison ensevelie dans l’ombre et dans le sommeil. Dans la terne façade de l’érudition germanique, M. Bédier a ouvert cette brèche de lumière. Des âmes qui se détachaient de nous en ont été fécondées, en même temps qu’en elles se réveillait l’amour de notre grâce et de nos délicatesses. Un soupçon est né du mensonge par lequel le vainqueur allemand cherchait à s’ad juger toute pensée. Ce jour-là M. Joseph Bédier a vraiment revêtu l’armure et la figure de Tristan, ce redresseur de torts, qui combat pour la justice et mérite ainsi l’amour d’Iseult, c’est-à-dire de cette partie de l’humanité qui ne veut pas que le droit soit immolé à la force, là douceur celtique à la brutalité germanique, le spirituel à la matière. HUGUES LE ROUX, Sénateur de Seine-et-Oise....
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
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