Extrait du journal
Vers l’Émancipation Piano, piano,la condition de la femme française s’améliore. L’esprit moderne, un peu honteux du passé, lui concède petit à petit ce que l'esprit romain lui refusa. Le Parlement a fait, cette année, une bonne loi féministe, que le Journal offi ciel promulguait ces jours-ci.Elle donne enfin aux femmes mariées la libre dispo sition de leur salaire. Libre et logique. Jusqu’à présent l’ouvrière, la tâcheronne, que cette loi nouvelle est appelée à protéger surtout, étaient tenues de par la loi d'apporter à la masse l'argent qu’elles retiraient de leur travail dans l'usine, à l’atelier, aux champs. Du côté de la barbe est la toute-puis sance, et jusqu’à l'autre jour le mari se saisissait de l’argent pour l'employer à sa guise, parfois avec sagesse, parfois aussi en odieuses dilapidations. On voyait ainsi la loi consacrer ce tableau répugnant : un mari paresseux, ivrogne, qui engloutissait dans une con tinuelle débauche les salaires pénible ment gagnés chaque jour par sa femme, à laquelle il ne laissait même pas de quoi nipper ses enfants. La réforme est maintenant accomplie. Le salaire gagné par la femme appar tient à la femme ; aucune clause de con trat de mariage n’est désormais valable contre la loi. Il paraît que treize ans ont été néces saires pour qu'une chose aussi simple pût être inscrite dans le Code civil ! Ce n’est pas chez nous que les idées vont vite. Encore fallut-il que celle-ci fût soute nue avec une belle opiniâtreté par une société féministe dont le nom fit jadis quelque bruit : Y Avant-Courrier e. A sa tête, Mme Jeanne Schmahl et Mme la duchesse d'Uzès douairière surent user d'une stratégie adroite en limitant, pour commencer, à des revendications toutes simples le programme d'une œuvre d’émancipation qui, désormais, s'accom plira plus vivement. Il n’est que juste de rendre à ces deux courageuses pionn'ères l’hommage qui teuresLdxcet de taire connaître aux fem mes françaises qui vont bénéficier de la loi nouvelle les noms de ses initiatrices. Il va de soi que le nouveau régime ne s'applique pas seulement aux ménages ouvriers. Etant la loi, il vise tous les ménages. Il déooule seulement de son économie que la femme ouvrière sera le plus aisément protégée, à cause des res trictions qui ont été introduites dans le texte définitif, avec une prudence que l’expérience seule pourra juger. Ainsi les dispositions nouvelles ne s’appliquent pas aux gains obtenus par le travail en commun du ménage. On a pensé qu’il était trop difficile, pour ne pas dire impossible, de les attribuer à l’un ou à l’autre époux. Le mari est coiffeur, boulanger, bou cher ; la femme tient la caisse ? Travail en commun. Il n’y a pas là un salaire déterminé qui s'applique à l'effort de la femme mariée. Partout où la femme mariée travaille avec son mari, la loi nouvelle restera sans effet, et pour cause. L'intérêt commun du ménage a, du reste, préoccupé le législateur d’hier jus qu’au bout. Et c’est fort juste. Il faut faire des lois qui, peu à peu, émancipent la femme, mais en conci liant ses droits, aussi bien que ceux du mari, avec le statut même du mariage, qui implique l’union et non la désunion. Dans le cas contraire autant vaudrait, pour les conjoints, rester chacun chez soi. C’est ainsi que les biens de la femme, acquis par elle avec ce salaire personnel dont elle peut à présent disposer, pour ront être saisis pour les dettes que le mari aura contractées « dans l’intérêt du ménage » ! La définition de l’« intérêt du mé nage » nous vaudra sans doute, à bref délai, d’intéressantes plaidoiries. Il y a là un article élastique qu’on entendra souvent rebondir dans les prétoires. Nous ne verrons plus, aux annonces des journaux, l'avis si fréquent : M. X. fait savoir qu'il ne 'paiera pas les dettes de sa femme. Celle-ci ne paiera pas davantage les dettes somptuaires ou folichonnes de son mari. Mais l’un et l’autre resteront tenus des dettes lorsque celles-ci auront été contractées « dans l’intérêt du mé nage ». Autre nid à procillons qui pourront être comiques et alimenter les vaudevil les futurs !...
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
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