Extrait du journal

Des mesures sont prises pour la surveillance des feuilles étrangères introduites en France. Quelles sont celles qui limiteront les dégâts quand la propagande étrangère sévira chez nous par journaux interposés ? On dira que c’est très difficile et que l’on a du moins envisagé le cas des gazettes qui seraient alimentées par des subventions extérieures. Là encore la preuve du délit sera presque impossible à administrer. Le journalisme qui donnait jadis la prépondérance à l’opi nion sur l’information fait maintenant le contraire ou bien mélange et dose les deux éléments de manière à créer la confusion quand celle-ci sert des intérêts qui lui sont chers et sont plus chers encore à ceux qui payent. Nous parlons ici, bien entendu, d’un journalisme spécial qui est la lèpre du journalisme seul digne de ce nom. C’est celui qui fait décrier notre profession et la déconsidère impu nément. L’impunité est en effet acquise à l’habile teneur de plume qui a consulté le code ou un avocat retors et qui dans la coquinerie et l’imposture s’est arrêté juste au point qui marque la limite des écrits tombant sous le coup de la loi. On peut donc insinuer comme par ouï-dire et avec des airs de bonne foi que M. X... est un fripon, qu’un confrère est compromis dans une affaire louche, au'un directeur de journal n’est officier que pour mieux trahir son pays. Rien n’empêche, au sujet de ce dernier, d’ajouter à l’im primé, encore dans le vague, le commentaire parlé et, entre deux portes, de laisser entendre que cet officier est un e-pion à gages, que cela est connu en haut lieu, qu’on le cache à cause du scandale, mais que l’arrestation du coupable n’est qu’une question d’heures et d’opportunité. La calomnie n’est d’abord qu’un bruit rasant la terre. Bazile nous a dit ce qu’il en est ensuite. Quel texte peut réprimer utilement et vite ces odieux agissements ? Il n’en est point de formel. Le mensonge savamment préparé et répandu est insaisis sable. Il trouve, d’ailleurs, des oreilles complaisantes et des langues complices. On nous objecte : « Bah ! le mépris est la seule réponse à faire ». Quelque chose de plus substantiel serait préférable. Evidemment on se cuirasse à la longue. On m’a signalé des publications où l’on faisait à •na chétive personne l’honneur de l’insulter. A côté des pauvres types qui font ce métier, il y a les gens qui, par exemple, me déclarent dans des lettres prolixes mais pas signées, vendu à Hitler et Mussolini, ce qui ne les gêne pas pour m’écrire le lendemain, si je critique 1’ « axe », que je voudrais jeter la nation dans des torrents de sang. Tout cela n’a aucune importance. Je suis passé en correc tionnelle récemment, pour avoir qualifié M. Jouhaux de prébendier. Cet infortuné me demandait 10.000 francs pour cette épithète. Rien ne s’oppdbera à ce qu’on dise dans le journalisme torchonné que j’ai, dans ce procès, évité le bagne de justesse. Mais alors nous sommes dans le domaine de la cocasserie. Ce qui est grave c’est la fourberie distillée, le trait qui peut déshonorer et va de bouche en bouche avec des : « Eh ! on ne sait pas ? » dont les diffamateurs se lèchent les babines. Il faudrait savoir. C’est dans les encriers dépotoirs que naissent les fausses nouvelles de tout calibre, tantôt nocives à la sécurité publi que, tantôt atteignant l’honneur individuel. Ce journalismelà, qu’il soit stipendié par l’étranger ou qu’il vive de haine, est, en fait, le plus redoutable ennemi de la liberté de la presse en France, parce qu’il l’avilit....