Extrait du journal

« Je ne peux rien vous expliquer, di sait Brasseur au commissaire de police, dans la Mariée du Mardi-aras, je ne sais rien ; ils m’ont pris ma culotte. » Sauf la culotte qui lui reste, et qui d’ailleurs n’est pas en question, c’est à peu près ce que pourrait répondre le chef du gouvernement s’il se décidait à répondre quelque chose. Il n’y a rien de mieux gardé qu’un secret qui n’existe pas, et il n’y a pas de danger qu’on divul gue ce qui n’a jamais été dit. J’aime les diplomates avec leurs airs mystérieux ; ils semblent porter le monde, et le portent d’autant plus facile ment que ce monde n’est qu’un ballon qui ne s’élève que parce qu’il est vide. Ils me rappellent ces personnages de la Muette, la grande conspiration de Pothey ; tout le monde en est, et cela est ter rible, car personne n’en sait rien. Moi qui n’en sais pas davantage, je .puis pourtant vous renseigner. Il y a que personne ne veut faire la guerre,pas plus nous que les autres. Nous voudrions bien rentrer en possession de l’AlsaceLorraine, mais nous ne serions pas fâ chés que ce fût sans bataille ; nous nous sommes d’ailleurs mis dans l’impossibi lité de mener à bien cette grave affaire, en nous répandant aux quatre coins du monde et en nous organisant une demidouzaine de Mexiques, après avoir vu où un seul avait conduit l’Empire. L’en tente avec la Russie n’est qu’une entente de paix. Nous ne renoncerons à rien, j’en suis sûr, mais nous ne demanderons rien,j’en suis encore plus sûr. On doit nous accor der cela. « Qu’est-ce que la paix ? s’écrie le pré dicateur de Dickens, dont on célébrait, « hier, la mémoire. Esi-ce la guerre ? Non. Eh bien ! Alors ? » Qu’est-ce que vous voulez qu’un minis tre des affaires étrangères, hélas ! et doublement étrangères, vous dise de plus ? L’entente avec l’Angleterre garantit la paix, qui, d’ailleurs, n’avait pas grand besoin d’être garantie, puisque personne ne songeait à la rompre. Elle réserve l’a venir qui est toujours réservé, demain n'appartenant qu’à Dieu, comme a dit le poule, et, nul ne sachant ce qui se passera demain. Est-ce à dire que cette entente, si vague qu’elle soit, est complètement inutile. Telle n’est pas ma pensée. Elle a, à mon sens, une double utilité ; la première de démontrer que la France peut être en république et avoir des alliances en Eu rope ; la seconde de nous permettre de profiter un jour d’un de ces hasards heu reux ou malheureux contenus dans les lianes de l’avenir. Parce qu’on ne prévoit rien, ce n’est pas une raison pour qu’il n’arrive rien. Ayant commis cette faute énorme, qui est la meilleure alliée de l’Allemagne, et qu’on appelle la politique coloniale, nous ne pouvons plus nous passer d’appuis européens. Jusqu’à ce jour, le profit en a été pour nos alliés, témoin la Russie, et peut-être en sera-t-il ainsi longtemps ; mais un embarras tel que celui du Ma roc peut survenir, d’où il nous sera per mis, si nous ne sommes pas trop mala droits,de tirer à notre tour quelque avan tage. La situation est tout juste celle-là, et il ne faut ni en exagérer ni en diminuer l’importance. Croire que les alouettes vont nous tomber toutes rôties dans la bouche, à cause de ces alliances.c’est une bêtise ; on n’a de bonnes alouettes que celles qu'on fait rôtir soi-même, et les alliances n’ont de valeur que tant qu’elles sont basées sur l’intérêt récipro que. Les nations vivant toujours entre elles à l’état sauvage, qu’est-ce qu’un chiffon de papier de plus ou de moins ? D’un autre côté, ne pas se réjouir dans une certaine mesure, ce n'est pas juste. Les partisans de la paix doivent être heu-...