Extrait du journal

Il y a environ dix-huit mois, se*révéla tout à coup, au ministère de la guerre, un opiniâtre souci d’élégance martiale, dont les manifestations éclatèrent sous forme do circulaires successives, et si méticuleuses sur la tenue dos officiers, que je me suis toujours demandé com ment, au sortir de la guerre, des mili taires avaient pu se complaire à d’aussi subtiles futilités. La très grande majorité des officiers accueillit assez mal des mesures qui, sans utilité, allaient leur imposer des dépenses élevées. Le ministre de la guerre, M. Maginot, ému des protestations dont le bruit est arrivé jusqu’à lui, a, dans un large esprit de bienveillance dont je le Joue, décidé de consulter, sur l’opportunité des modi fications projetées, les officiers euxmêmes, dont l’avis sera recueilli par leurs chefs de corps. L’intention est excellente, mais le sou venir de consultations de ce genre au cours de ma carrière militaire, m’a laissé dans l’âme quelque scepticisme quant à la sincérité des avis émis par les subal ternes et transmis au ministre... hiérar chiquement. Je ne me suis jamais rappelé sans sourire la petite scène suivante, dans laquelle j’ai joué un rôle. Il s’agissait, comme aujourd’hui, d’une question de « tenue » ; cela ne date pas d’hier, hélas 1 J’étais alors un jeune, un tout jeune sous-lieutenant frais émoulu de Saint-Cyr. Je n’étais pas peu fier, je vous l’affirme, de porter à cette époque, un dolman à brandebourgs avec, sur la man che, un galon unique, c’est vrai, mais dessinant un trèfle d’où partait une pointe memtant jusqu’à l’épaule. Au ministère de la guerre, la commis sion de l’habillement venait d’émettre l’opinion qu’on ne pouvait continuer à préparer la revanche en dolman et que, pour le salut de la patrie et le prestige de nos armes, il était de toute nécessité de revenir à la tunique et aux épaulettes. Le ministre de la guerre de ces temps lointains, homme libéral dont j’ai oublié le nom, voulut avoir sur ce sujet, l’avis des officiers et, exactement comme aujourd’hui, les colonels furent chargés de le leur demander. Un samedi matin, près de la grille de la caserne, nous étions là une cinquan taine d’officiers attendant la venue du colonel pour la fameuse consultation. Les cinq sixièmes d’entre nous étaient pour le maintien du dolman ; on causait et la phrase qui revenait le plus souvent était : qu’on nous fiche la paix avec tous ces changements ; c’est notre bourse qui paie, nous ne sommes pas riches. De l’un à l’autre on s’interrogeait : « On garde le dolman, hein ?» — « Pardieu, la question ne se pose même pas ; mais puisqu’on nous la pose, on va voir tout à l’heure ! » Arrivée du colonel, salut circulaire ; eur. un signe, nous voici tous autour de lui ; d'un ton bref, il nous dit : « Vous savez, messieurs, pourquoi je vous ai réunis, le ministre nous demande ce que nous préférons de la tunique ou du dol man ; la question ne se pose même pas Oui aussi 1) c’est la tunique, évidem ment. » * « Evidemment 1 répondit, à ma grande surprise, l’écho d’une vingtaine de voix suivi d’échos plus faibles répercutant les uns après les autres, la parole du chef : évidemment I » « Eh bien 1 messieurs, continua le colo...