Extrait du journal

Le cas dû nommé Fouquet est curieux. Voici un homme des mieux cotés. Bon père, bon époux, jouissant de l’estime publique, un beau jour l idée lui vient de devenir voleur et assassin. Pour son coup d’essai, il n'y va pas de main morte. Il expédie sa femme, son fils bien-aimé, son chien et son chat. Puis il emporte cent dix mille francs,qu’il met dans une sacoche. Là-dessus, il se promène de ville en ville sans se cacher autrement. Toute la police de France est à ses trousses, ce qui justifie et augmente sa sécurité. En fin de compte, il échoue dans un hôtel de Toulouse, y passe très tranquillement trois jours et, finalement, voyant qu’on ne le prend pas, s'exécute lui-même. On trouve dans la sacoche les cent dix mille francs auxquels il n'a pas touché. Ainsi finit l'histoire.) La Chambre des députés semble prise d’une même turlutaine. Non qu’elle soit bien notée dans l’opinion,mais enfin per sonne ne lui demandait de se suicider. Bien au contraire, on tâchait de la ré former par l’opération de la représenta tion proportionnelle. Elle n’a vu là-de dans que le dégoût du parlementarisme, et s’est dit tout d’un coup : « Il faut en finir. » Et la voilà qui se taille, qui rogne, qui coupe, qui s’enlève toute raison d’être, et qui, soucieuse de donner satisfaction aux gens qui se plaignaient qu’on parle trop, décide que donéravanton ne parlera plus du tout. Les orateurs ne quitteront pas leur place, et leur discours ne devra pas durer plus d’un quart d'heure. On ne sait pas encore comment on s’y prendra pour arrêter ceux qui voudront dépasser les bornes; mais c’est un procédé qu’on trou vera, dût-on confier au digne M. Briston un cor de chasse dont il tirera des sons harmonieux à l’heure fixée par le règlement. ■Autrefois, devant un orateur trop pro lixe, les députés n’avaient que la res source de lâcher pied et de quitter la salle des séances#. L’orateur continuait dans le vide, et M. Brisson continuait son sommeil. Désormais il ne pourra plus dormir; Car il lui faudra veiller attentivement et ne pas quitter l’horloge des yeux. Cette réglementation n’est pas la seule qui soit soumise aux délibérations de la Chambre. Elle s’interdit tout projet de résolution, sans voir que cela même est une résolution. Elle se prive du droit d’interpellation, remontant ainsi les temps et retournant au Corps Législatif impérial, tel qu’il était avant les réfor mes libérales. En un mot, elle exécute tous ses droits, les uns après les autres, ne laissant du parlementarisme que le squelette, dans le but évident de pouvoir dire à tous les mécontents : « Maintenant que nous avons tout sup primé, il ne reste plus qu’à nous suppri mer nous-mêmes, et c’est cette dernière mesure à laquelle nous allons procéder. Ainsi finira l’histoire. » Juste retour des choses d’ici-bas. Nous refaisons tout doucettement l’Empire, abandonnant successivement tous les droits que nous nous sommes donné tant de mal pour conquérir. « Eh bien ! ce n'était, donc pas si mal ce que j’avais fait ! pourrait nous dire, s’il revenait au monde, l’auteur de la Constitution de 52. Vous y revenez à mon système. Ce n’é tait pas la peine de tant crier pour faire la même chose que moi ! » Et comme Fouquet, après avoir tué femme, enfant, chien et chat, la Cham bre se met dans un tel état qu’il ne lui reste plus qu’à se supprimer elle-même. La différence, c’est qu’on ne trouvera olus rien dans la sacoche. HENRY MARET.,...