Extrait du journal

Hélas ! nous avons des tempêtes bleues, par le mistral, d’effroyables tempêtes, plus bleues que les plus nurs, que les plus calmes ciels du Nord. Et c’est bien cette coloration inaltérable qui fait croire souvent à l’inaltérable clémence de notre mer latine, mer redoutable aux vagues courtes, heurtées, aux attaques subi tes, perfides... Est-ce par le mistral qu’elle s’est perdue, cette Lydie que Mar seille n’attend plus ! Ce steamer, parti il y a plus d’un mois, de Constanti nople, n’a jamais plus donné de ses nouvelles. Un ouragan l’aura sur pris en pleine mer, et il est aujour d'hui certain qu’il a péri corps et biens. Il y avait trente-sept hommes à bord, la plupart Marseillais, presque tous ayant leur famille à Marseille. Cet événement, survenant quelques jours après le naufrage du Flacnat, est une désolation pour notre port. Et je la revois en imagination, la chère ville splendide, la rayonnante capitale de notre Provence. Le ciel y est-il voilé à cette heure ? Pas pour longtemps, en ce cas. Elle s’étalera demain sur la vieille cité liocéenne, si elle n’y triomphe pas à 'heure où j’écris,la gaieté physique du soleil ; elle y resplendit presque tou jours dans 1 éclat du ciel, des pierres mêmes, des monuments, des arbres, des tentes et des voiles du quai. Et voici qu’à cette heure elle est un mensonge des choses, cette gaieté, car la vieille cité maritime pense obstinément, dans le secret, dans l’ombre de son cœur, à ces trente-sept enfants disparus, perdus en mer, dont on n’aura plus de nouvelles... plus jamais....