Extrait du journal
Le Roi Oscar ï _ Oscar II de Suède appartenait à * notre » Midi autant qu’à « leur » Nord. Par hérédité et par choix. Les hôtes de la Côte d’azur se souviennent de l’avoir rencontré souvent sur lesurou tes de Provence. Il aimait à venir se reposer dans le palais du prince de Monaco. Tous deux étaient marins de vocation et l’avaient été, d’état, dans leur jeunesse. Ce fut tout justement par S. A. S. le prince de Monaco que j’eus l’honneur d être présenté au roi de Suède, au prin temps de l’année 1883. Le roi venait d'avoir avec M. Carnot une entrevue si cordiale que, au moment de la sépara tion, il avait traité notre président comme les souverains en usent avec leurs cousins royaux, c’est-à-dire qu’il l’avait embrassé. M. Carnot s’attendait à la poignée de main. Il n’était pas prêt pour l’accolade. Le roi de Suède avait déjà redressé sa taille de géant que le président n’avait pas encore décidé si, oui ou non, il était protocolaire de ren dre au souverain, de la façon même dont il les avait reçues, les marques de son effusion. Et l'occasion ne se retrouva pas. Le fait est que le roi Oscar n’avait pas seulement cédé à cet élan de bonne grâce méridionale qui, hors de son pays, lui a fait tant de sujets volontai res. Il était inquiet du rapprochement de la France et de la Russie, car les Suédois n’ont pas oublié l’aventure du duché de Finlande, arraché à leur affec tion. D’autre part, il lui répugnait qu’on le soupçonnât d’entretenir avec la Tri ple-Alliance des relations de coquette rie. Il avait pensé donner, par son voyage et par la cordialité de ses façons, une preuve qu’il voulait rester libre de ses sentiments affectueux pour la France, indépendant des coalitions for midables entre lesquelles sa neutralité se trouvait quelque peu écrasée. Il fit savoir aux affaires étrangères qu’il désirait donner à un Français, qui n'était même pas cadet de Béarn, l'oc casion de raconter de quelle façon ceux de chez nous étaient traités à Stockholm par le roi de Suède et de Norvège, et il m’invita à le visiter au cours de ce même été de 1893. Impossible d’imaginer mission plus charmante. Je n’avais, en somme, qu’à tenir note de toutes les gracieusetés dont ton me comblerait et à en rendre témoi gnage dès mon retour à Paris. Ce fut au château de Drottningholm, puis au palais royal, à Stockholm même, que tr’eus l’occasion de voir Sa Majesté. Elle était déjà préoccupée de la mauvaise couleur que prenaient les rapports de la Suède avec la Norvège. Cela allait du manque d’égards voulus à la mesquine tracasserie. On m’avait dit à Christia nia : « Figurez-vous que, quand le roi vient chez nous, il amène, pour les ser vices, sa livrée suédoise !... Il fait venir son champagne de Stockholm I » Les Norvégiens étaient dans un état d’esprit à ne pas se douter que c’était probablement de France et non de Suède que venait le champagne de Sa Majesté. Oscar II, qui avait de la générosité dans l’âme et de la largeur dans les vues, ^souffrait de ces petitesses. « Il me semble, me dit-il, que j'ai sous les yeux un mariage mal assorti ; un des conjoints est de noble origine et l’autre de condition inférieure. De là, des suspicions, de perpétuelles jalou sies, qui viennent injustement du côté où l’on se sent dominé par une supé riorité qui humilie. » Tandis que le roi parlait, j’apercevais, derrière lui, un beau portrait du roi Charles XII, qui était accroché juste au-dessus de sa table à écrire. Il vit où allaient mes yeux et il me dit : « J’écris la biographie de ce merveil leux guerrier. Il n’y a pas, pour un sou verain, de discipline plus salutaire que l’effort de l’historien. Les rois ont beau souhaiter la vérité, ils ne l’entendent jamais. Les morts sont plus indépen dants ; ils donnent des conseils. » C’était à ses origines méridionales et françaises que le roi devait cette clarté dans la conception, cette netteté dans l’exécution que ses sujets admiraient en lui. Mjiis, d’autre part, il avait subi, autant et plus que beaucoup d’habitants du pays septentrional, où la destinée l’avait fait roi, cette inquiétude qui sort des nuits sans fin, des brouillards où les contours de la réalité se dissolvent. Avec un grand nombre de ses sujets, le roi Oscar croyait aux apparitions. En particulier, il était persuadé que, à Stockholm, le château royal était hanté. 11 me parla d’une figure étrange qui sortait de la muraille et que l’on rencon trait dans les couloirs de ce palais, cha que fois qu’un événement important ou tragique intéressant la famille royale était à la veille de se produire. Un jour de novembre, un journal de Stockholm annonça que, la veille au soir, tandis que le roi jouait aux échecs avec une personne de sa maison, les lumières qui éclairaient la table de l’échiquier avaient été brusquement éteintes et le roi s’était senti tiré par la barbe. La nouvelle ne fut pas officiellement démentie. C’est toujours la vieille épouvante qui s’empare des hommes du Midi lorsqu’on...
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
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