Extrait du journal

— Respectez ma blouse, s*est écrié M.Tliivrier, parlant à la Chambre qui avait l’im)pertinence de rire. Je n’ai pas besoin, je pense, de vous rapipeler que M. Thivrier est ce député qui a ^solennellement promis à ses électeurs de venir siéger en blouse au PalaiSrBourbon ‘et qui a tenu sa parole. Le premier jour, il a excité une certaine curiosité parmi ses collègues et dans le public. Quelques jours après, personne n’y prenait plus garde. Ce n’est pas, après tout, une si extraordinaire excentricité qu’un homme vêtu d’une blouse. Il n’y a pas là un spectacle bien merveilleux : du moment que les yeux ont été faits à ce costume. M. Thivrier a pu entrer, sortir, se promener, causer avec ses collègues, sans qu’aucun regard s’atta chât à sa blouse. Sa blouse était acceptée. On l’accepte; c’était vraiment, à ce qu’il semble, tout ce qu’il pouvait exiger de la mansuétude de ses collègues. 11 prétend aujourd’hui qu’on la respecte. 11 va peutêtre un peu loin. On comprend parfaitement qu’un vieillard dise : Respectez mes cheveux blancs. Pour quoi? C’est que les cheveux blancs témoi gnent d’une vie longue et honorable. C’est qu’aussl les cheveux blancs sont l’indice d’une force décrue et tombée, qui ne peut plus répondre à l’insulte par un acte d’énergie. Dire à quelqu’un : « respectez mes che veux blancs», c’est lui dire: respectez ma vieillesse; car le vieillard n’a plus pour repousser l’outrage, ni l’ardeur bouillante, ni l’énergie robuste de la vingtième an née. 11 a derrière lui tout un passé, qui commande l’estime : les cheveux blancs en sont le signe visible. Vous vous rappelez les admirables vers du Roi s'amuse : Voue êtes roi ; moi père, et l’âge vaut le trône; Nous portons tous les deux au front une couronne où nul ne doit lever de regards insolents. Vous de tieurs de lis d’or et moi de cheveux blancs. Roi, quand un téméraire ose insulte la vôtre. C’est vous qui la vengez ; c’est Dieu qui venge 1 autre. On dit de même: respectez le ruban rouge qui brille à ma boutonnière. C’est que le ruban est le signe visible de services ren dus à la patrie, sous une forme quelcon que, de la considération générale dont ce lui qui le porte est entouré. C’est ainsi qu’un officier pourra dire : respectez mes épaulettes; car les épaulettes sont, ou plu tôt, car les épaulettes, aujourd’hui dispa rues, étalent le signe visible d une profes sion et d’un grade qui exigeaient la vail lance , le désintéressement, l’héroïsme même. Mais que peuvent bien vouloir dire ces mots : « Respectez ma blouse ! » La blouse est-elle donc le signe évident de quelque chose qui soit particulièrement respectable. La blouse est un vêtement qui a été adopté parties personnes appartenant à certaines conditions sociales: elle doit d’avoir été choisie par elles à la commodité d’abord et à la tradition ensuite. • C'est le vieux vêtement de la race gau loise, un dérivé de l'antique Sapa qui s'est perpétué jusqu'à nous. Ceux qui travaillent des mains le garderont, j’imagine, long temps encore parce qu’il est économique, chaud en hiver, léger et frais l’été, parce qu’il s’accommode aisément de toutes les besognes. A la campagne, quand je suis chez moi, dans mon jardin, je revêts ma blouse, car moi aussi j’ai une blouse, pour arroser ou jardiner. J’ai une blouse, mais je ne demande pas qu’on la respecte, pas plus que je ne deman derais qu’on respectât ma redingote.La re dingote est l'habillement du bourgeois...