Extrait du journal
indiquer l’objet de sa visite : il lui fallait tel emploi, telle faveur. Lui paraissait-il que le ministre se dérobait ? Il insistait, faisait sentir la pointe d’une menace et s’en allait « en remerciant d’avance ». Le ministre restait perplexe. S’il refu sait, c’était la guerre de couloirs, la guérilla des épigrammes dans les jour naux, guerre conduite par un homme de tant d'esprit, d'une verve si amusante, que députés et journalistes l’arrêtaient au passage et répétaient les bonnes his toires qu’il lui avait contées. S’en faire un ennemi était dangereux. Le ministre cédait. Arène procédait par séduction et intimidation, Turmel par quémanderies et adulations. Si on prend des compa raisons dans le règne animal, le type Turmel c’est la fouine ; le type Arène (aux rares échantillons) est une belle panthère aux mouvements souples, aux crocs incisifs et aux griffes déchirantes. * ** Sa seigneurie Emmanuel Arène en avait commencé la conquête en 1880, quand, avant l’àge légal de 25 ans, il s’était fait élire premier député républi cain de la Corse. Son premier succès avait été un fait de séduction par l’esprit, l’audace virile, par le charme captivant d’une belle voix un peu chantante, et même par la beauté physique. Redevenu ensuite chef de clientèle, omnipotent à Paris et à Ajaccio, Arène avait asservi son île. Rien ne s’y fit, pendant une bonne vingtaine d’années, que par son bon plaisir. Les autres députés, ses collè gues, étaient ses créatures. Ceux qui regimbaient, il allait lui-même, en se présentant contre eux, les chasser de leurs circonscriptions. C’est ainsi qu’il fut successivement député dans quatre arrondissements de son île. Au Figaro, où nous avons si longtemps voisiné, ce grand seigneur de l’électorat était intarissable en anecdotes quand on le mettait sur le chapitre de ses Corses. Il contait de ces histoires que l’on quali fie d’impayables ; telle celle de ce délé gué sénatorial, qui lui demande un jour d’élection : « Connaissez-vous quelqu’un en Chine », et à qui, ne voulant pas être pris de court, il répond, se moquant avec gravité : « Oui, l’empereur 1 ». L’autre prend la réponse au sérieux, réclame une lettre de recommandation pour son fils auprès de Sa Céleste Majesté. Et pour ne pas perdre la voix du délégué, « Emmanuel » lui promet ou même lui remet une lettre pour « l’Em pereur, en son palais de Pékin l » Arène, ce représentant complet du grand seigneur politique, du gfand dupeur de démocratie, a disparu sans laisser d’héritiers — tandis que Turmel, qui avec d’autres rhoyens faisait la même chose qu’Arène, a une nombreuse postérité. Après Arène, sa seigneurie corse est tombée. Au lieu du grand chef unique, il y a eu le foisonnement des petits chefs, s’unissant seulement pour laisser un homme d’Etat continental, comme Doumer, dont ils ne craignent pas l’im mixtion dans leurs disputes de clans ; ou s’unissant encore pour barrer la route à quelque homme à personnalité accen tuée, comme le directeur du Figaro, dont, par l’effet de quelque sortilège, les élections ne sont jamais valables. MERMEIX....
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
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