Extrait du journal

Boulot, c’est mon neveu. Je suis oncle. C’est de tous les âges, et surtout du mien. Ce jeune homme mal embou ché écrit ses mémoires. Quand ils sont particulièrement idiots et impertinents, il me les envoie. Je copie : « Mon oncle, figure-toi, je suis parti culièrement satisfait d’être rentré à la boîte. Les vacances, c’est de la blague ! Je vais te dire en quoi ça consiste, les vacances ! Deux mois avant qu’elles commencent, tous les gouvernements familiaux se réunissent et tiennent un grand conseil médecine : le gouverne ment paternel, le maternel, le grandpaternel et même le belle-sororcl. Et ils discutent pour savoir où on ira. Te parle pas du neveu, ton petit neveu. Il n’a que huit semaines, il parle pas. « A la fin, le gouvernement maternel a dit : « Nous allons voter ! » Le gouver nement paternel a dit : « Bien,.votons ! » Du reste, il dit toujours oui quand ma man parie, c’est une bonne pâte. Ils ont tous voté, excepté moi. Moi, j’ai fichu un bulletin blanc, tellement ils m’ont abruti. La haute montagne, ça ne va pas au gouvernement grand-paternel,à cause de son asthme ; le maternel ne supporte pas la mer parce que ça l’énerve, et il est déjà si nerveux ! Papa n’aime pas la dhaleur, le pôle Nord, alors ? Mais il n’y a pas de tramways. Pour ma petite belle-sœur,celle qui m’a donné un neveu il y a deux mois, elle ne peut pas mon ter, ça la fatigue. « Après avoir échangé des injures vraiment électorales, on s’est décidé pour un petit endroit en Savoie, endroit au nom duquel on a cru bon d’ajouter : v les Bains. » Ça fait beaucoup plus chic, il parait ; et ça n’est pas la mer, et ça n’est pas la montagne, et ça n’est pas la plaine. Qu’est-ce que c’est ? Je ne le savais pas en partant et, maintenant, je ne suis pas plus avancé. Tout ce que je peux dire, c’est que ça s’appelle Quelque-Chose-les-Bains, et que je n’ai jamais vu d’endroit où il y ait moins d’eau. « On est parti le 30 juillet. Ce fut un •voyage cuisant. Mon oncle, voyage le 30 juillet si tu tiens à t’amuser ! Huit dans un compartiment de huit, et des grosses dames en sueur, et des gosses qui tcttent, et des nourrices qui leur donnent à téter, et des Anglais avec des valises si grandes qu’elles doivent contenir d’au tres Anglais, coupés en morceaux ! 11 faisait chaud, chaud, chaud ! Tout le monde disait : « Ah 1 s’il pouvait pleu« voir 1 ça rafraîchirait le temps. » On arrive : il pleuvait. Alors tout le monde de dire : « Quel sale temps ! » Moi, je riais comme une petite folle. Et tout le monde de crier : « Cet enfant n’a pas de « cœur ! » « Station à trois kilomètres de tout lieu habité. Il paraît que c’est plus sain. Omnibus de l’hôtel. Coussins évoquant l’image d’un léopard, d’abord parce qu ils sont tachetés, ensuite à cause de la férocité qu’ils mettent à vous couper en morceaux les quartiers de derrière. Dé barquement tumultueux. « C’est nous « qui avons télégraphié. » — « Com te ment, c’est vous ? Ah bien ! on ne « vous attendait que dans deux jours, « vos chambres ne sont pas prêtes ! » « On se case dans d’autres chambres. Gémissements, récriminations. C’est la scie de l’ameublement qui commence. Tu penses : le neveu, celui qui a huit semaines, n’avait pas d’armoire à glace ! La femme de chambre voulait un fau teuil. Le gouvernement paternel, qui se plaint d’avoir toujours trop chaud, ré clamait des couvertures. Pour le gou vernement grand-paternel, sa table n’avait que trois pieds. Ça, c’est vrai, je suis obligé de le dire : sa table n’avait que trois pieds ! J’ajoute que, d’après sa constitution originelle, elle aurait dû en avoir quatre. Ah ! comme c’est gentil, les vacances, comme c’est donc gentil !...