Extrait du journal

place où les décombres s’entassent sur une hauteur de cinq mètres... Elle est penchée en avant, sa base lui ayant soudain man qué. et le plafond sur lequel les quatre corps reposent est à peine soutenu — on ne sait, d'ailleurs comment — par deux poutres dangereusement inclinées. Comment attein dre cette sorte de plateau suspendu : grim per aux poutres ? Le général Mazza ne s'y opposerait sans doute pas s il s’agissait de sauver des vivants. Mais il ne veut pas, hors ce motif, exposer la vie de ses hom mes... Car les poutres pourraient céder... Elles céderaient sûrement... Et alors... — Alors, dit-il, faisons, de loin, tomber les poutres... Le plafond s'abattra... Mais le malheureux père ne veut pas... Non, non ! Ses enfants et sa femme s’écra seraient dans la chute... Elles sont mor tes... 11 ne faut plus leur faire du mal... Laissons-les comme elles sont, dit-il. Comme il est influent et qu’il pleure, le bon général Mazza l’écoute. Il a mis seule ment des hommes de garde aux environs de la maison pour en empêcher l'approche n cas d’éboulement... Et, tous les jours, le riche Sicilien, qui dort et mange on ne sait où ni comment, monte sur un de ces petits chemins tracés au faite des monticules de décombres. Il y est venu, hier encore, et nous avons été témoins de sa déchirante douleur. Il voit, à trente mètres de lui, les cadavres qu'il ne peut atteindre ; de longs sanglots secouent son corps long et mince ; il pleure silencieusement ; il murmure du bout des lèvres des noms qu’on entend à peine : les noms de celles qu'il aimait tant ; il ne pousse aucun cri : il ne fait que verser des larmes et, parfois, il joint les mains vers le ciel en un geste que le ciel ne doit pas comprendre, — puisqu’il n’exauce pas sa prière... Or, sur ces petits chemins que le père douloureux emprunte pour voir sa famille défunte, sur ces sentiers tracés dans les dé combres, battus par les pieds des soldats et mouillés par la pluie persistante, des brins d’herbe poussent déjà, comme il en pousse, plus bas, entre les pavés du corso VittorloEntanuele, vers la Marina, et comme il en pousse aussi tout près de la mer. sur rem placement où s'élevait la fontaine de Nep tune. de Montorsoli, détruite dans le cata clysme. .. De l’herbe ? Déjà ? La nature n’a pas plu tôt terminé son œuvre de mort qu’elle re prend ses fonctions de créatrice de la vie. Elle fait naître des brins d’herbe là où elle a tant fait mourir d'humains. Elle détruit et elle crée. C’est son rôle... Et sans doute veut-elle indiquer par ce symbole que Mes sine pourrait bien renaître de ses cendres, comme cette herbe pousse sur ces décom bres et que rien n’autorise les hommes à dire : Dclcnda Messana. JEAN SERVIEN....