Extrait du journal

Soyez persuadés que les commissions des logements insalubres sont, partout où il y en a, en pleine activité, et que les préfets écrivent aux maires de toutes les communes où il n’y en a pas, pour les pousser à en créer. Croyez bien aussi que les philanthropes ne manquent pas cette occasion de pro noncer de beaux discours ou d’écrire d’étincelants articles sur les êtres hu mains qu’on entasse dans des cavernes pour y être soumis au choléra, à la fièvre typhoïde, et à toutes les autres maladies qui jouissent de quelque célébrité dans le public profane. On ne se borne pas à prêcher et à en quêter : On agit. Les immeubles les plus infects tombent sous la pioche des dé molisseurs, Vous ferez bien de les dé sinfecter avant de les abattre ; car les millions de microbes qu’ils renferment, troublés par J es maçons dans leur quié tude, se répandraient dans le quartier, portant avec eux la maladie et la mort. Non, non 1 Désinfectez et abattez. Ne soyez pas trop scrupuleux. Ne dites pas: Cette chambre-ci pourrait être conservée à la l igueur, après un bon lavage.— Mais regardez-la donc ! On ne peut pas s’y tenir debout, pour peu qu’on soit de taille moyenne. Il n’y a pas de cheminée pour l’hiver. Appelez-vous ce carreau de vitre dormant une fenêtre ? Il donne assez dejour pour qu’on aperçoive l’hor reur de cette caverne, mais il ne donne pas passage à l’air extérieur. Cette cham bre n’est pas une chambre ; c’est un tombeau, un pourrissoir ; une manufac ture de choléra. On vous dit que, si vous abattez avant de reconstruire, vous allez mettre des fa milles dans la rue, faute de gîte. Ehl cela est vrai, et triste. Eh ! oui, tous ces gens sont exposés à loger à la belle étoile. Mais songez que rien n’est plus à re douter pour eux que de rester une nuit de plus là où ils sont. Il est plus rare qu'on ne croit, de loger à la belle étoile. Cela arrive à des vagabonds isolés, à des ivrognes ; mais une famille dans l’embarras ne passe pas inaperçue. Elle va au Bureau de bienfaisance, à l’Assis tance publique, à la mairie, au poste de police, au corps de garde. Au besoin, elle est ramassée par une patrouille. C’est lamentable, sans doute; mais ne serait-il pas encore plus lamentable pour elle d’être laissée où elle était, et d’y passer cette nuit-ci, et la nuit de demain, et les nuits des autres jours jusqu’à ce que mort s’ensuive? Au moins, avec cette expulsion, avec ce scandale, la so ciété est mise en demeure. Puisqu’elle abat une maison, elle sait bien qu’il lui faudra en construire une autre. Elle fera des maisons de bois en attendant qu’elle trouve des pierres. Elle donnera à des hommes des logis humains. Le choléra fera, en un mois, une réforme qui n’au rait pas été faite en deux ans. Toute ma douleur, c'est qu’il est là, pendant qu’on abat ce qu’on reconstruit; et toute ma crainte, c’est qu’on cesse d’abattre et de reconstruire quand il aura passé. Nous ne savons rien faire à propos. Si nous avions des maisons pro pres, le choléra ne viendrait même pas ! Ce sont ces horreurs qui l’appellent, qui le produisent, le multiplient, le conser vent....