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Le Petit Marseillais, 21 août 1893

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Le Petit Marseillais
21 août 1893


Extrait du journal

C’est le temps des grandes affiches ra dieuses qui annoncent les fêtes campa gnardes, affiches rouges avec des lettres noires, affiches blanches avec des lettres bleues, sur lesquelles, aux heures de so leil, les platanes voisins font des ombres chinoises, avec leurs feuilles ouvertes, comme d’ingénieuses petites mains. Rou ges et blanches, toutes sont pleines de choses tentantes qui attirent les gens, gars et mioches, vieilles et filles, accou rus tous à la becquée des promesses nombreuses, comme un poulailler à la graine. C'est le bal qui durera trois Jours ; ce sont les concours et les jeux où s’entê teront d’opiniâtres déveines, où une par tie commencée à midi durera jusqu’au soleil couché ; c’est le théâtre ambulant dont l’affiche peinte à la main laisse voir, au milieu des enjolivures enchevêtrées, de suggestives annonces comme celle-ci : « Ce soir, on jouera la Tour de Nesle et Une Femme coupée en morceaux. » Le bal ! Il est toujours en grand honleur au village, et tel il y restera encore longtemps. Là, les bandelettes de buis sont encore bien vertes et elles ne jauni ront pas de sitôt. Le paysan est, certes, plus sceptique qu’autrel’ois ; la nef des hommes est presque vide à la messe ; mais, au village, ceux qui sont jeunes le sont vraiment en tout et partout, dans le plaisir et dans la peine, dans l’amour comme dans le labour. Pour eux, ces hommes de la terre, ces hommes source, dont la tâche imposée semble être de faire des hommes et de donner du pain, la danse, qui est une étreinte, est restée l’expression la plus complète de tous leurs désirs, de toutes leurs tendances, en un mot, de cet entraînement un peu brutal, mais naturel et nécessaire, qui les pousse vers la grande, l’éternelle union qui fait la graine, qui fait la vie. Aussi, la danse a-t-elle gardé chez eux, quoique à leur insu, ce caractère grave qui, â notre époque de chahut, fait sourire ; lente allure, embrassante étreinte, qui semble porter plutôt que conduire, yeux mi-clos, comme lorsqu’on se désaltère délicieuse ment. Quelque chose de sacré semble être resté attaché au divertissement devenu profane. Là, en effet, l’étreinte d’un ins tant peut devenir celle de toute la vie, et c’est ainsi que se font les laboureurs et les soldats. Le jeu aussi les empoigne, les vieux surtout. La vie au village n’est pas folâ tre toujours, les soirées sont longues. Et puis, à vivre toujours avec la terre, à passer son temps dans la lande où une seule pensée fait tout un jour, mâchée et remâchée encore, voilà longtemps que le paysan est devenu un réfléchi. Ce sont bien des paysans, des pâtres, qui combi nent ces joujoux inextricables, anneaux coulants, nœuds à la fois fragiles et indis solubles, menuiseries étranges aux en chevêtrements insaisissables, véritables casse-têtes japonais que d'autres mettent des années à essayer de reproduire. Ce sont aussi de petits villageois qui, par des systèmes de calcul inventés par eux, arrivent à être des calculateurs qui étonnent les savants. Le calcul, sous toutes ses formes, calcul de pensées ou de chiffres, voilà le fort de l’homme des champs. C’est pour cela que le jeu avec ses combinaisons subtiles est attrayant pour ces cerveaux d’opiniâtres et de chercheurs. On peut même dire que c’est en cela que réside tout l’attrait pour eux, car l’enjeu toujours mince ne peut guère y entrer pour grand’chose. C’est en cela que diffère le joueur proprement dit, le tapis-vert,du joueur campagnard, l’un ne voyant dans le gain d’une partie que l’émotion d’une loterie, l’autre la satis faction devant le problème résolu. C’est pour cela qu’au village une manille, où l'on joue des bocks, est disputée comme s’il y avait une fortune en jeu. Le théâtre aussi devrait plaire à la campagne, le théâtre qui est né campa...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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