Extrait du journal
On nous écrit d’Alger : Il existait, parmi nos tribus indigènes de l’intérieur, une coutume, une tradition très répandue, acceptée et respectée par tous et même, malgré son caractère immoral, ins crite clans le Code. Notre pruderie ou, si l'on veut, notre conception du droit et.de la jus tice, différente de celle des indigènes, est en train de la faire disparaître. Hâtons-nous donc d'en parler tant qu’il en reste encore des vestiges. C’est la bècharra, ou rachat. Voici en quoi consiste la bècharra. Urr jour, ou plutôt une nuit, on vous vole chez vous, soit un beau mulet, soit on cheval, soit une paire de bœufs, soit même un fusil ou des bijoux. Le matin, lorsque vous vous apercevez de la disparition des animaux ou de l'objet pré cieux, vous courez chez l’administrateur, chez le juge de paix ou le commissaire de police faire part de l'accident. La police se met en mouvement ; on envoie des émissai res dans les tribus voisines avec le signale ment des animaux ou des objets volés ; on télégraphie dans tous les marchés. On ne trouve rien. Au bout de quelques jours de ces recher ches infructueuses, vous êtes découragé, vous avez presque passé le vol au chapitre desprofits et pertes, lorsque, à un moment donné, pendant que vous êtes seul, aux abords du village ou de votre ferme, vous voyez s'approcher de vous un indigène de votre connaissance, de réputation quelque fois bonne, parfois équivoque, mais qui, dans tous les cas, pour l’affaire de votre vol n’a pu être soupçonné. Il n'a pas, en effet, de puis huit jours quitté sa tribu et il lui se rait facile de rendre compte à la justice de ses pas et démarches pendant tout ce temps. —• Eh ! bien, vous dit-il en souriant, tu n’as pas retrouvé tes bœufs (ou ton cheval, ton mulet) ? — l'iche-moi la patv, laisse-mol tranqujlle et passe ton etiemin, lui répondez-vous d un ton de" mauvaise humeur. Ou bien, si vous êtes au courant des cou tumes du pays : — Sais-tu quoique chose ? lui demandezvous. Mais, dans les deux cas, l’indigène ajoute : — Moi. je ne sais rien, mais je crois que si tu mettais cet'0 nuit 20 douros (ou 30, ou 50, suivant l'impor*ance du vol) sous la grosse pierre, près du pont à l'entrée du village (ou tout autre endroit écarté), les bêtes reviendraieiH. C'est une idée que j’ai comme ça. Si le colon est un homme expérimenté et d'esprit calme et pratique, il porte, en secret, le soir même, le prix fixé à l’endroit indiqué et le lendemain matin, au jour, il trouve sans étonnement ses animaux volés attachés à un piquet devant sa porte. Et tout est dit. Lopération s'appelle bècharra ; l'indigène intermédiaire est dit bêcheur. Quand l'opération se pratique entre indi gènes. aucune difficulté n’est soulevée, la chqse étant chez eux d'usage courant et l'au torité n'étant jamais priée d’intervenir. Avec les Français, l’affaire ne se passe pas toujours aussi simplement. Parfois, le colon est un homme colère, violent, vindicatif et à peine l'Arabe lui a-t il exposé sa, demande, qu'il le saisit et le conduit chez l'administra teur ou le juge de paix. I à on s'explique ; l’Arabe dit qu’on a mal compris ce qu’il a voulu dire ; il parle mal le français, l'autre comprend mal l’arabe. Il 11’y a pas d*1 témoins et l’Arabe fournit toutes les justifications désirables. Le volé ne recouvre plus son bien ; voilà le plus clair résultat de 1 affaire. . .. . Parfois le colon veut etre plus malm que l'Arabe. Il semble accepter avec joie la pro position faite et, dissimulant sa colère et ses intentions, il va, le soir, déposer l'argent à l'endroit indiqué. Mais entre-temps il a fait secrètement prévenir l'autorité et celle-ci fait surveiller le dépôt pendant la nuit. Personne ne vient chercher l'argent et les objets volés ne sont pas restitués. Jamais ce moyen n'a réussi. , Disons vite aussi, a 1 honneur de la bécharra et des bêcheurs, que jamais, non plus, lorsque le voleur s'est consciencieusement exécuté, les objets volés n’ont manqué d’être ramenés ou rapportés dans un très bref délai à leur propriétaire.:...
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
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