Extrait du journal
Voilà qu’à présent il leur faut le Congo. Et avec ça ? La raison qu’ils donnent/ pour justifier leur demande de compensation est des plus drôles. — Les Français, disent-ils, organise ront des troupes noires, qui sont dans le cas de nous donner beaucoup de tracas dans la prochaine guerre. C’est pourquoi il nous faut le Congo. Cela n’empêchera rien ; mais nous aurons tout de même gagné quelque chose. » Sans tirer l’épée, sans risquer la vie d’un soldat, poméranien ou non, l’Alle magne se trouverait ainsi en possession d’un vaste empire, tandis qu’elle nous regarderait dépenser notre argent et nos hommes pour nous assurer une appa rence de domination à côté de chez nous. Ce serait une opération admiraWe. Elle dénote une foi profonde en notre naïveté. Un monsieur a une affaire avec son voisin. Tandis qu’ils se chamaillent, arrive un intrus qui dit : « Je ne vois qu’un moyen d’arranger tout ça, c’est de me donner une propriété que vous avez à quelque distance d’ici, et qui ferait tout à fait mon affaire. » « C’est bien extraordinaire, pense le monsieur. Quelle drôle d’idée ! En quoi la situation peut-elle être changée par le don que je ferais de ma propriété ? Ce particulier a, je crois, la tête un peu fêlée. »> Jamais il ne l’a eue plus saine ; et la preuve, c’est qu’on discute sérieusement son idée. Il ne vient à l’esprit de per sonne de la trouver extravagante. Ce n’était pas là ce que jusqu’ici l’on entendait par une compensation. Une compensation, cela se traite entre les deux peuples en cause. On comprendrait l’Allemagne disant à ceux à qui elle a pris l’Alsace et la Lorraine: « Nous allons vous les rendre, et en échange vous nous donnerez telle de vos colonies. » Cela ce serait une compensation ; mais compen ser la perte de ce qui ne vous appartient pas, c’était jusqu’à présent ce qui n’était admis dans aucune diplomatie. C’est un procédé qui bouleverse tou tes les données qu’on peut avoir. Il ou vre des horizons inconnus. Rien n’empê chera désormais, quand l’Autriche vou dra s’annexer une Bosnie ou une Herzé govine quelconques, une puissance étran gère de venir dire à l’Autriche : « C’est très bien, mais vous allez nous abandon ner Trieste. » — Pourquoi,répondront-ils, vous aban donner Trieste ? Qu’est-ce que vous avez à vous occuper de Trieste ? Vous n’avez rien à voir là. — Ça ne fait rien, lui répondra la puis sance, Trieste, c’est une idée que j’ai comme ça : Donnez-moi Trieste et nous serons bons amis. — Mais pourquoi à vous plutôt qu’à tout autre peuple ? Cette objection, que personne ne songe à faire aujourd’hui, viendra naturelle ment sur les lèvres : — De quoi vous mê lez-vous ? Où est votre mandat ? Qui vous a donné mission d’intervenir ? Au nom de quel droit exigez-vous ce que vous appelez une compensation ? Qu’avezvous perdu pour qu’on vous le rem place ? — Nous n’avons rien perdu : mais du moment où vous prenez quelque chose, vous nous devez une compensation. Il n’y a pas moyen de les faire sortir de là. Ce qui rend la chose encore plus extraordinaire, c’est que nous n'avons pas le Maroc. Après l’expédition coûteuse et sanglante, nous nous retirons. Nous déclarons n’avoir aucune intention de rester. En sorte que nous serons exposés à compenser ce que nous n’avons pas. Tout cela, on comprend que c’est du bluff. L’Allemagne demande un bœuf pour avoir un œuf ; elle sait bien que nous ne lui donnerons pas le Congo. Mais, ayant abandonné le gros morceau, elle compte se rabattre sur le petit. Et vous verrez que, en fin de compte, bien que nous ne devions rien, nous serons obligés de donner quelque chose, et l’on s’extasiera sur la bienveillance de notre créancier improvisé. — Comment, nous dira-t-on, vous en êtes quitte pour si peu de chose, et vous réclamez ? — Mais, nous ne devons rien.i — C’est possible. Cependant, les ré clamations étant si abaissées, cela ne vaut pas la peine de discuter. Payez. Un peu de bonne volonté, et vous aurez la tranquillité. S’exécuter vaut mieux que risquer un procès. L’affaire est engagée de telle façon que nous n’en sortirons pas sans y lais ser bec ou aile. L’Allemagne, elle, est tranquille. Elle n’a rien à perdre et tout à gagner. Et voilà ce que c’est que de n’avoir pas su, ou pas pu prononcer à temps le seul mot qui serve, lieries, nous ne nous attendions pas à voir l’expédi tion marocaine se terminer de la sorte. Nous oublions trop, dans tout ce que nous faisons, aue nous avons un ennemi...
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
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