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Le Petit Marseillais, 23 juin 1910

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Le Petit Marseillais
23 juin 1910


Extrait du journal

Calais, 22 juin. Le bruit du canon qui tonne dans le loin tain, le son cristallin des cloches, dont le carillon est incessmt, le courroux de la mer qui gronde sur la plage, et ce vague et sourd murmure qui monte des foules émues les plus recueillies, emplissent, depuis ce matin, Calais d’un fracas qui paraît sur prendre elle-même la petite ville, normale ment froide et silencieuse. La foule ac court de tous côtés dans la cité endeuil lée ; les départements voisius lui envoient, par masses compactes, des délégués et des curieux qui débordent des trains et emplis sent ses rues étroites. De l’autre côté de l’eau, le public afflue également ; les paquebots arrivent ; en sim ples particuliers, des marins anglais vien nent rendre un dernier hommage à leurs frères de France, morts si tragiquement. De toutes parts, on s’apprête à faire aux victimes du Pluviôse de magnifiques funé railles. Hier soir, les cercueils de ces victimes ont été transférés du lointain hangar des Sucres à l’hôtel de ville, d’où partira le cor tège ; ils ont été disposés dans la salle des Pas-Perdus, suivant une disposition ana logue à celle qu’ils avaient dans l’entrepôt des Sucres, et une salle de la mairie avoi sinant le salon d’honneur où sera reçu le président de la République, a été mise à la disposition, des familles des glorieux morts. En attendant l’heure des obsèques, les étrangers se rendent vers les quais ; ils cherchent des yeux le Pluviôse qu’ils ne voient pas, car la marée est haute, et le sous-marin gisant dans le bassin Paradis est recouvert du grand linceul bleu formé par la mer. Depuis ce matin, des messes de deuil se chantent dans toutes les églises de Calais, à la requête des familles des défunts ; un Requiem a été célébré à la Cathédrale, et les cloches continuent à sonner à toute vo lée. Le temps est triste ; il est noir ; de gros nuages obscurs entourent le soleil comme d’un voile de crêpe, et, de temps à autre, sur le spectacle qui se prépare, le ciel pleure de larges gouttes de pluie. Les délégations fiarleméntaires arrivent en gare de Calais-Ville. Parmi la déléga tion du Sénat, nous reconnaissons, entre les amiraux de Cuverville et de la Jaille, le sénateur du Var Reymonenq, qui a de mandé à suivre ses camarades à titre de simple matelot, car il servit huit ans dans la marine, et nous devons dire que, dans le cadre illustre où il se trouve, notre concitoyen, représentant des humbles et des petits, morts dans les flancs du Plu viôse, est vraiment à sa place. A côté de la délégation officielle des dé putés se trouve une délégation officieuse ; elle est formée par les députés des pays bretons auxquels appartenait la majorité des victimes. Ceux qui la composent sont : MM. Brart, Surcouf, Le Rousic, Armez, Delaroche et Verne. Ils ont déposé, dans la chapelle ardente, une couronne portant l’inscription : « Aux officiers et marins du Pluviôse. » A midi, précis, un coup de canon formi dable ébranle l’air : le président de la Ré publique arrive. La réception est sans apparat ; les dra gons, massés sur la place de la Gare, en un ordre admirable, rendent les honneurs, mais très rapidement, et le président dans son landau de gala, est conduit avec son habituelle suite à la mairie. On avait dit que les présidents de la Chambre et du Sénat seraient du cortège. Ils se sont fait représenter par leurs plus anciens viceprésidents, MM. Etienne et Cordelet ; mais immédiatement après M. Fallières appa raît la physionomie vive de M. le président du conseil.. Les ministres de la guerre et de la marine sont en grand uniforme et toute une nuée d’officiers d’ordonnance emplissent les voitures qui suivent. La pitié des familles et l’attention des pouvoir publics ont donné une apparence émouvante à cette salle des Pas-Perdus transformée en chapelle ardente; une douce et pénétrante odeur de fleurs fraîches y règne. M. Fallières s’arrête longuement devant les cercueils, puis il gagne le salon d’honneur où il adresse aux familles les condoléances du gouvernement. Et la levée des corps commence. La cérémonie est longue et douloureuse ; elle va durer près d’une heure. Les cer cueils, tous identiques, sont placés sur les affûts de canon rangés sur la place par des équipes d’artilleurs robustes ; ces affûts se présentent par deux à la .porte de la mai rie ; on leur confie les funèbres fardeaux et les maréchaux de logis qui commandent chaque groupe donnent le signal du départ. La longueur et la tristesse du spectacle impressionnent l’assistance, qui est extrê mement nombreuse. Un des fantassins qui font la haie à la porte de la mairie se trouve mal et tombe sur un des cercueils qu’on transporte ; mais les artilleurs sont solides, ils ne perdent pas l’équilibre et les camarades du soldat malade s’empressent autour de lui, le soignent, lui font reprendrô les sens. A 1 heure 10, le cortège s’ébranle lente ment ; il passe au milieu d’une foule énorme, mais calme, et qui ne rend jamais utile l’intervention du service d’ordre. La longue théorie des cercueils est terminée par celui du commandant Prat, que les corps du lieutenant de vaisseau Callot et de l’enseigne Engel précédent immédiatement; mais, tandis que l’uniforme de capitaine de frégate est disposé sur le cercueil 4U commandant Prat, ceux des deux autres officiers sont simplement recouverts de fleurs fraîches et ne se distinguent en rien des cercueils des simples matelots.Et quel merveilleux cortège se forme der rière ces affûts, ornés aux couleurs trico lores, derrière ces bières, toutes égales et toutes enroulées dans le drapeau français, quand les marins qui les encadrent portant l’arme basse et la tête haute ferment la marche 1...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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