Extrait du journal

Le Danger Nouveau v;ette catastrophe d Issy-les-Mouli neaux fut effroyable en ceci que, pour une fois, les vietimes de la nef aérienne chavirée sont des personnages de mar que. Et quels I Le ministre de la guerre, tué; le président du conseil, blessé. Deux pas sants, curieux quelconques, eussent été plaints vaguement ; il n’en va pas de même quand la fatalité frappe deux hommes qui occupent les premiers rangs dans l’-Etat. Alors, on se prend à réfléchir. La masse, qui est distraite et insouciante, commence à comprendre ce que d’autres, les annonciateurs de l’avenir inélucta ble, ont depuis longtemps prophétisé : à savoir que les temps sont arrivés où du ciel, soi-disant conquis, un danger nou veau va menacer les hommes. C'est la revanche de l’azur, la riposte de l’impondérable, comme on voudra. Mais c’est le fait dont on doit se préoccu per dorénavant : diriger ses pas de telle façon qu’on ne reçoive pas un aéroplane sur la tête. Il en peut coûter affreuse ment cher, nous venons de le voir. A vrai dire, avec le nombre d’appareils qui déjà sillonnent le ciel, il est étonnant que l’accident de dimanche ne soit pas plus fréquent. Ne nous félicitons pas trop vite l Quand la pratique plus aisée des aéro planes en aura décuplé, centuplé le nom bre — et cela, c’est demain — les nues seront à chaque instant sillonnées d’ap pareils volants qui, par hasard, par acci dent, se trouveront subitement empêchés de voler. Alors, ils tomberont comme la foudre sur un troupeau en pleine campagne, sur un groupe de travailleurs aux champs, sur le clocher d’une église, en pleine rue populeuse d’une ville, partout en un mot où il y a des êtres vivants qui rampent sur la terre, comme c’est leur office. Que faire ? Comment remédier à ce danger nouveau ? La réponse à ces questions est forcé ment négative. Sans doute, il faut cher cher à rendre les pannes de moteur et les arrêts brusques des hélices plus rares, l’atterrisage, en un mot, plus aisé et plus sûr. Mais la perfection n’est pas de ce monde. Il faut faire, quoi qu’on trouve, la part de l’imprévu, de l’insoupçonnable. Et nous ne voyons que le commencement des catastrophes qui vont s’abattre sur le genre humain, maintenant qu’il a con fiance dans le transport par la voie des airs, utopie naguère encore, vérité incon testée aujourd'hui. S’aviserait-on d’imiter les autorités allemandes, qui, pour éviter les terribles accidents de ce genre, défendent aux aviateurs de voler au-dessus des lieux habités ? Jamais, en France, une semblable prohibition ne serait admise. Fût-elle décrétée demain, que les chances de nau frage ne seraient pas pour cela suppri mées. Tout au plus diminueraient-elles pour un temps. Mais, parallèlement, les chances de progrès diminueraient aussi. Pour arriver à la perfection relative, la seule qui soit permise aux humains, il faudra encore beaucoup de tragédies de ce genre. Et ce n’est pas gai. Au moins, devrait-on comprendre enfin qu’il y a danger sérieux à surexci ter les foules en les appelant ainsi à devancer de dix ans, de vingt ans peutêtre, l’époque où les aéroplanes circule ront à la centaine au travers du ciel. Que des primes soient attribuées aux courageux aviateurs, aux téméraires même, qui risquent la mort pour gagner leur vie, c’est une habitude prise qui se retrouve dans toutes les compétitions...