Extrait du journal
Le bâtiment était dans des conditions per mettant de le classer comme à l’abri du feu. Mais il était plein de matières inflammables. Il possédait un chemin de sauvetage, mais la rapidité de la marche des flammes a empêché de l’utiliser. Une femme d'une trentaine d'années resta trois minutes suspendue à une corniche par le bout de ses doigts ; une langue de flamme surgissant tout à coup lui fit lâcher prise et son corps vint s’abîmer sur le pavé. Une autre jeune femme fut aperçue jetant son chapeau et son manteau enflammés, d une fenêtre du même étage ; un moment après son corps venait s’écraser dans la vue. Au neuvième étage apparurent un homme et une femme. Ils s’embrassèrent, puis, l’un après l'autre, ils sautèrent dans la rue, où tous les deux se tuèrent. Cinq jeunes filles cassèrent la vitre d'une fenêtre, passèrent au travers et se précipitè rent dans le vide. On ne les retrouva sur le sol qu’à l’état de masse informe. Au huitième étage, une autre jeune fille put arriver jusqu’à l’échelle des pompiers : elle ne put descendre que jusqu’à la hauteur du sixième étage. Là, ses forces l’abandonnèrent et elle vint se briser sur le sol. D'une autre fenêtre, une grappe humaine se précipite, une jeune fille de vingt ans, trois autres femmes et un homme. Enlacés, ils tom bèrent sur le sol. La jeune fille seule respirait encore, mais elle mourut durant son trans port à l’hôpital. Une jeune fille se précipite dans une couver ture tenue, en bas, par un pompier et des policemen. Elle manqua la couverture et son corps fut mis dans un tel état qu’on ne pou vait plus lui donner une forme. Une autre fit la même tentative de saut sur une bâche te nue par trois hommes, mais son poids fit cre ver la bâche et elle se brisa les os. Un mo ment après un homme tomba sur les épaules d’un policeman qui tendait une bâche ; il heurta de là le pavé où il se tua. On vit deux jeunes sœurs courant enlacées, puis se précipitant dans le vide en se tenant par la main. Les pauvres petites vinrent s’é crascr en même temps sur le sol. Environ deux cents employés, des femmes en grande partie, étaient parvenus à monter sur la toiture, laquelle communiquait avec l’Université de droit. Plusieurs étudiants, grimpant à l’étage supérieur, se précipitèrent à leur secours,et grâce à leur courage et à leur énergie, près de cent cinquante des réfugiés purent échapper à la mort. En recueillant les corps écrasés dans la rue, on trouva, dans la masse des cadavres, une jeune fille de vingt ans encore vivante ; mais la terrible épreuve qu'elle avait subie avait anéanti sa raison. Quelques heures après la catastrophe, des scènes horribles se produisirent, des parents accourant de toutes parts pour reconnaître les leurs. Tout était éteint et tous les corps recueillis, quand une voix d’homme, criant à l’aide, se fit entendre au rez-de-chaussée de l'immeuble incendié. Des sauveteurs se précipitèrent, aveuglés par la fumée, vers l’endroit d’où ve nait l’appel. On trouva un homme, debout, dans quatre pieds d’eau, se tenant cramponné des deux mains à la saillie d'un ascenseur. Il était dans un tel état de faiblesse que les sauveteurs durent le prendre dans leurs bras. (>t homme, un couptm» du nom-«L Hermann Mischer, travaillait au huitième étage quand retentit le cri : « Au feu ! » Il se précipita, à travers les escaliers oui commençaient à pren dre feu, jusqu'au dixième étage : le hasard le mit en face d’une porte ouverte donnant sur l’ascenseur ; il sauta dedans, déclancha l’ap pareil. et descendit ainsi jusqu’à la cave. C’est de là que, poursuivi par l'eau
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
