Extrait du journal

M. Victor Janvier, mandataire au pavillon de la boucherie, aux Halles centrales, âgé de cinquante-quatre ans, quitte son domicile, 13, rue du Bouloi. Il est 14 heures. Il porte sous son bra3 un paquet. Dans ce paquet, il y a 180.000 francs en billets de banque. A 14 h. 30, M. Janvier arrive à son bureau, 62, rue Tiquetonne. Cinq minutes plus tard on le trouve, au pied de l'escalier qui conduit au bureau : il est sans connaissance, la téte ouverte. Les 180.000 francs ont disparu. Cela se passait hier. Et le mystère le plus entier enveloppe cette étrange affaire, dont les détails ajoutent à l'obscurité. Il était dans les habitudes de M. Janvier d'emporter de chez lui des sommes importantes. Aussi Mme Jan vier ne s'étonna-t-eîle point de le voir partir, hier après-midi, avec le pro duit de ses ventes des journées de vendredi et de samedi : 70.000 francs pour vendredi et environ 110.000 francs pour samedi, en billets de 1.000 et de 100 francs. Ces billets étaient enfer més dans un filet à provisions, doublé d'étoffe noire. Le mandataire s'arrêta-t-il en route ? La rue Tiquetonne est proche de la rue du Bouloi. Il n'y a guère plus de dix minutes de marche. Selon l'horaire indiqué, M. Janvier mit une demi heure. S'arrêta-t-il en route 7 Où et pourquoi faire ? La première hypothèse qui se pré sente à l'esprit est que le mandataire s'arrêta à une banque pour y déposer son argent. Mais il est impossible d'admettre cette hypothèse : les ban ques sont fermées le samedi après midi. Autre incertitude : la concierge de la rue Tiquetonne, Mme Egret, qui se souvient d'avoir vu M. Janvier passer devant sa loge, ne saurait dire s'il portait un paquet. L'examen des blessures de la victime semble devoir permettre de dire qu'il y a bien eu attentat. Les chirurgiens de la Charité, où M. Janvier a été conduit et hospitalisé dans la salle Vulpian, ont constaté que le manda taire porte deux blessures à la téte : l'une au sommet, de forme circulaire, qui semble avoir été faite avec une matraque ou un marteau; la deuxième à la base du crâne, vraisemblablement consécutive à la chute. Cette dernière a entraîné la paralysie de toute la par tie gauche du corps. La reconstitution de la scène de l'attentat Dès lors, il est possible de recons tituer la scène de l'attentat. M. Janvier ayant suivi le long cou loir qui mène à l'escalier C, situé au fond de la cour, à gauche, arrive au pied de cet escalier. H monte. Mais il a gravi à peine trois ou quatre mar ches que son agresseur, qui doit se trouver caché dans la descente de cave, dont la porte est entr'ouverte, bondit sur lui. Il le frappe à la tête. Le chapeau du mandataire roule dans l'escalier, et lui-même tombe à la renverse ; sa tête heurte le carre lage du vestibule. Le malfaiteur s'em pare alors du précieux paquet. Et comme, par cet après-midi de samedi, les couloirs de l'immeuble sont dé serts, il peut se retirer tranquillement, sans être le moins du monde inquiété. Un peu plus tard, un visiteur dé couvre le corps inanimé du malheureux mandataire. Il donne l'alerte. Le blessé est monté jusqu'à son bureau, où on essaie en vain de le ranimer. Et com me l'on peut se trouver en présence d'un attentat, le commissaire de police du quartier du Mail est alerté. Son enquête doit être difficile. L'état de M. Janvier ne lui permet pas de subir un interrogatoire. Le drame n'a pas eu de témoins. Et l'agresseur du mandataire est en fuite, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il se trou vait vraisemblablement très au cou rant des habitudes de sa victime. Un dernier détail, qui vient confir mer l'hypothèse de l'agression : M. Jan vier avait, quand on l'a retrouvé, son veston ouvert, et sa montre pendait au bout de sa chaîne. Le bandit avait-il tenté de le déva liser de son portefeuille et de ses bijoux, après qu'il lui eut volé son paquet de billets de banque ? Pour l'instant, le mystère est entier....