Extrait du journal

Un homme était emprisonné. On l'oubliait parfois dàns sa geôle. Des détenus furept laissés quarante mois sans que le magistrat instructeur s'occupât, d'eux. L'instruction se fajsait dans le secret le plus absolu. Le dossier était remis à l'un des juges, qui rem plissait les fonctions de rapporteur et qui devenait la cheville ouvrière du procès. C'est par son .seul exposé que ses collègues connaissaient l'affaire, qu'ils jugeaient sans réquisitoire oral présenté au nom de l'accu sation, hors de la présence de l'accusé. Ce lui-ci n'était amené qu'un instant devant ses juges pour subir le dernier interrogatoire. Cette formalité s'appelait « la sellette ». L'interrogatoire n'était que de pure forme, et il arriva même à un magistrat de dire que « c'était du temps perdu ». « Un temps perdu, s'écria l'illustre Du paty, que ce moment sacré où pour la pre mière et la dernière fois les malheureux accusés, souvent après des années entières de prison et de procédure, comparaissent enfin devant les magistrats suprêmes qui, d'un mot et dans une minute, vont leur per mettre de vivre ou leur ordonner de mou rir ! Un temps perdu, que cet instant que la loi accorde aux accusés à l'extrémité du pro cès pour se plaindre à l'autorité souveraine des irrégularités, des injustices et des vexa tions qu'Os n'ont que trop souvent éprou vées ! Un temps perdu, que cette heure unique où n'ayant vu jusque-là l'homme que vous avez à juger que dans l'ombre de la procédure, à travers des papiers infidèles ou menteurs, n'ayant perçu sa voix que dans le lointain des cachots, vous pourrez enfin le voir en face et l'entendre parler de près 1 »...