Extrait du journal
Surtout ne pas voir « le franc à moins d'un sou » ! On peut dire que c'est un précepte sur lequel il n'existe pas de dissidences. L'idée seule d'un retour au trouble moné taire fait horreur. Rentrer dans l'instabilité, recommencer la course à la hausse des prix, se retrouver devant l'incertitude du lendemain et dans le bouleversement de toutes les situations, ce sont des perspec tives que l'esprit ne peut même pas supporter. Il y a cinq ans que nous jouissons d'une monnaie ferme et stable. Ce n'est pas sans laisser derrière elle des victimes que nous l'avons obte nue. Il a fallu immoler beaucoup de personnes, beaucoup de familles dont le « train de vie », selon l'ex pression à la mode, a été considéra blement réduit, quand leurs moyens d'existence n'ont pas disparu. L'œuvre généreuse d'assistance à la classe moyenne, que préside M. Maurice Donnay, de l'Académie française, atteste bien des misères cachées. Et nous ne parlons pas du poids des impôts qui pnt été la ran çon du franc redevenu ce qu'une monnaie doit être, c'est-à-dire une mesure fixe du prix des choses. H est moralement impossible que ces sacrifices aient été exigés et consen tis pour rien. C'est, en outre, impossible, maté riellement. Si, du sinistre mois de juillet 1926 au commencement de l'année 1927, le franc a pu être relevé de dix centimes, où il était tombé, jusqu'à vingt centimes ; s'il a fallu ensuite, sous peine de pro duire d'autres sortes de bouleverse ments, en arrêter la revalorisation et le stabiliser à ce cours, ce n'en est pas moins un taux très faible. Une monnaie déjà amputée des quatre cinquièmes de sa valeur n'a plus grand chose à perdre. Voit-on la même opération recommençant à cinq centimes ou à deux et demi ? Autant dire qu'on serait au voisi nage de zéro. Il faudrait bientôt créer, pour la commodité des trans actions, une nouvelle unité de compte et nous finirions par avoir le « milfranc » comme d'autres pays ont eu le « milreis ». Enfin, il est à peine besoin d'ajou ter que si nous nous sommes établis sans heurts, sinon sans souffrances, sur le franc à quatre sous il n'en irait peut-être pas de même au cas d'une dépréciation plus profonde qui irait jusqu'à l'anéantissement total ou peu s'en faudrait. Il suffit de penser à l'Allemagne qui souffre encore de la catastrophe du mark. Les succès foudroyants du parti hitlérien tiennent à plusieurs sortes de causes. On s'accorde à recon naître que le désespoir des classes moyennes, ruinées par l'inflation, en est une. Ainsi, à tous les égards, s'impose la nécessité de garder une monnaie stable, condition de stabilité pour le reste. Là-dessus, il n'y a ni contestation ni doute. Mais, comme il arrive souvent, si l'on est d'ac cord sur le principe, on l'est moins sur la manière de l'appliquer. Comment pouvons-nous être sûrs que le franc ne sera pas remis en discussion ? Tout simplement si l'on n'a pas lieu d'y penser. C'est à la fois suffisant et nécessaire et c'est ce qu'on appelle la confiance, qui pourrait se définir : une absence complète d'inquiétude. De multiples expériences et dans les pays les plus divers ont démon tré que la stabilité des monnaies était attachée à la confiance et celle-ci est comme l'amour, qui ne se commande pas mais s'inspire. La coercition est parfaitement inutile. Elle va même contre son but. La Terreur put guillotiner les mar chands et les marchandes des quatre saisons qui refusaient d'être payés en assignats. Il fallut un jour se résoudre à brûler la planche aux assignats elle-même. Quant à la < technique » nou velle qui permettrait de combattre le discrédit de la monnaie, elle a au moins un défaut, c'est qu'elle ne peut pas être préventive. Elle n'in ternent qu'à partir du jour où la méfiance a commencé, où les capi taux et l'or sont partis, sans jamais d'ailleurs réussir a empêcher toutes les fuites. C'est ce qui s'est produit en Allemagne mais en paralysant et en « gelant » les affaires. Et si, par hasard, un gouvernement songeait, de but en blanc, à appliquer cette « technique » peu recommandable, il avouerait par là chose tout à fait impossible r- qu'il est inca pable d'inspirer confiance. Faire peur n'est pas le bon moyen et il faut surtout éviter ce qui ferait peur. Les Français tiennent, avec raison, à vivre en repos, sans douter de leurs moyens d'existence ni de la valeur de leur épargne. On ne voit pas ce qui pourrait les séduire dans des expériences qu'ont faites d'autres pays et qui n'ont vraiment rien de tentant. Jacques BAINVILLE...
À propos
Le Petit Parisien est un grand quotidien français, publié entre 1876 et 1944. Il était l’un des principaux journaux sous la Troisième République.
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