Extrait du journal

A force de travailler son jardin, Candide finit par trouver la vie monotone. Lo Turc n'avait eu raison qu’à moitié, comme il arrive presque toujours dans le monde. Des trois maux que le travail devait éloigner, l’ennui, le vice et le besoin, Candide n’avait guère connu le second. même au cours de sa vie vagabonde. Il n’était pas toujours à l’abri du besoin lorsque l’année était mauvaise et que la recolle se vendait mal. quant à l’ennui, un moment conjuré par la nouveauté et le calme depuis longtemps inconnu de sa vie sédentaire, il commençait à se faire sentir sous la forme d’une inquiétude sourde. Il lui fut difficile, au premier abord, d’en discerner les causes ; mais il s’aperçut bientôt que la pâtisserie de l'excellente Cunégonde et les raisonnements philosophiques du docteur Pau gloss ne lui sulfataient plus. La poésie potagère de Mme do Noailles n’enivrait point son cœur. Oubliant ses melons et scs choux, il se prenait parfois à regarder par-dessus la clôture de son jardin, vers l'horizon. Ii y avait là-bas d’autres terres, d’autres hommes, toute une vie grouillante et inconnue. Sa curiosité fut plus forte que son besoin de paix. 11 se décida à la satisfaire. Un beau matin il embrassa Cunégonde et partit avec scs deux philosophes, le docteur Tant-Pis et le docteur Tant-Mieux, Martin cl Pangloss....