Extrait du journal

pendant il n'est pas sûr que le luxe de ren seignements qu’affichent certains journaux contribue beaucoup à éclairer le public. Il ne sert le plus souvent qu’à l’égarer. Per sonne n’ignore qu'il y a toujours moyen de présenter une information dans le sens qu’op veut lui donner. Comment le lecteur peut-il distinguer entre l’information tendancieuse et celle qui ne l’est pas ? Certes, nombre de lecteurs sont assez grands garçons pour se faire une opinion tout seuls, à condition toutefois qu’on leur fournisse avec impartialité tous les éléments d’appréciation, mais s’ensuit-il qu’un jour nal doive cesser de représenter un corps de doctrines et qu’il n’ait plus d’opinion per sonnelle à formuler? Je comprends très bien qu'à force de ser vir au public des opinions intéressées, nom bre de journaux aient fini par ébranler sa confiance, mais s’il est en état de juger la portée des documents et des sèches infor mations qui sont placés sous ses yeux, pour quoi ne jugerait-il pas de même les opinions formulées par les journalistes ? C’est ici que se pose la vraie question de la puissance de la presse. Je ne m’exagère pas l’influence des opinions individuelles ; je crois que l’influence des plus grands écri vains sur leur temps ne se'manifeste qu’à la longue et lorsque leurs écrits ont donné lieu à toutes sortes de controverses et de polémi ques. Comment un article de journal, comment une feuille volante aurait-elle la vertu de changer d’un jour à l’autre l’opinion d’un pays ? Ce n’est que par un lent travail de ré flexion que l’esprit humain se modifie ; un article de journal, si brillant soit-il, ne laisse qu’une impression fugitive s’il n’est que 1 expression d’une pensée personnelle, au lieu d’être celle des idées qui flottent dans l’air et que l’art du journaliste consiste à rassembler sous sa plume. Le mérite des vrais journalistes consiste à dire tout haut ce que chacun pense tout bas. Ils ne découvrent rien de nouveau. Ils dé brouillent les idées confuses et éparses, ils les coordonnent, en font un tout; elles pren nent corps sous leur plume. Ces idées laten tes se dégagent des nuages qui les envelop{>ent ; elles apparaissent en pleine lumière et e public croit à quelque révélation soudaine quand on n’a fait que préciser sa propre pensée. Telle est la vraie fonction du journalisme et sa seule puissance ; telle est aussi la jus tification de la liberté de la presse, car toute atteinte portée à ses droits est, en réalité,une atteinte portée aux droits du public. Il suit de là que la transformation de la presse ne comportera ni un développement excessif du reportage, ni la suppression de la discussion. Elle suivra nécessairement la transforma tion des mœurs. Tant qu’elle sera aux mains des financiers et des mercantis, il n’v aura rien à faire: Il faut que la presse soit épurée. C’est une opération qui dépend beaucoup plus du public que des journalistes euxmêmes. A. B....