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Le Siècle, 6 avril 1889

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Le Siècle
6 avril 1889


Extrait du journal

Le général Boulanger appartient désormais à la justice. Son rôle politique est fini. La Chambre a accordé l'autorisation de pour suites que le pouvoir judiciaire réclamait. L'instruction est ouverte. Il convient d'attendre ses résultats. Les feuilles bonapartistes, royalistes et boulangistes sont naturellement d'accord pour prétendre que la requête de M. le pro cureur général ne révèle aucun fait nouveau. Elles demandent des preuves ! C'était, si nous ne faisons erreur, le langage que tenait la presse napoléonienne quelques jours avant le 2 décembre 1851. A cette époque aussi les républicains annonçaient un attentat contre la Constitution. Et on leur demandait comme aujourd'hui des preuves 1 Les républicains accumulaient les preuves morales. Et on leur répondait : « Mais ce ne sont que des indices, ce ne sont pas des preuves I » Le lendemain, 2 décembre, les preuves ma térielles étaient venues, sous forme d'arresta tions, de fusillades, de violations de cent lois diverses. L'attentat était consommé. La jus tice n'avait plus à intervenir. Le conspirateur avait mis la main sur la justice comme sur là représentation nationale et les avait toutes deux supprimées du même coup. Le propre de la plupart des attentats est de ne présenter de traces matérielles qu'après l'exécution. "Un individu s'avance sur vous la nuit, dans un lieu désert, avec un revolver à la main. Vous supposez généralement qu'il est animé d'intentions malveillantes et vous n'attendez pas qu'il vous ait frappé pour le mettre hors d'état de vous nuire. Si vous avez une arme, vous vous déf. ndez, vous cherchez même à le frapper le premier, afin de préve nir un coup qui peut vous faire passer de vie à trépas. Cependant, tant que cet homme ne vous a pas frappé, il est évident que vous n'avez à son égard aucune preuve matérielle. Sa mauvaise mine, l'heure avancée de la nuit, le lieu désert, l'arme qu'il tient à la main ou qu'il cache sont des indices accusateurs, mais ce ne sont, en somme, que des indices. Personne ne vous blâmera pourtant de vous mettre en état de légitime défense. Il en est de même en politique. Si l'on nie l'attentat tant qu'il n'y a pas commencement d'exécution, autant dire qu'il n'y a d'attentat que si le crime réussit. Le général Boulanger a cherché à s'empa rer du pouvoir suprême par des voies autres que les voies légales. Voilà le fait certain. Il a annoncé son dessein d'être Président de la République avant la fin de l'année, avant l'Exposition même, en se passant du con cours du Congrès, en dehors des règles pré vues par la Constitution. Il a donc clairement préparé un attentat contre les pouvoirs pu blics. Sous quelles formes cet attentat devaitil se produire ? L'instruction du procès éclaircira cette seconde question, mais elle n'est que subsidiaire. Le fait qui domine tout, qui constitue le crime, c'est l'intention hautement avouée de s'emparer du gouvernement par des voies illé gales, anticonstitutionnelles; ce sont les me sures prises pour arriver à ces fias, pour ren dre le jeu de la Constitution impossible, pour attenter à la liberté du Président de la Répu blique, pour annuler le Sénat, pour assurer à ces desseins la complicité des adversaires de la République, des fonctionnaires mécontents, des officiers et des soldats susceptibles d'in discipline, pour créer, én un mot, un état ma tériel et moral de la nation qui permît la vio lation des lois et le bouleversement des insti tutions, sans crainte d'obstacles sérieux, avec la certitude de l'impunité. , On demande les preuves de l'attentat, mais elles existent par milliers. Elles sont à toutes les pages de ses discours et de ses interviews, dans les articles de ses écrivains et dans les harangues de ses amis, dans les images où il se laissait représenter déchirant la Consti tution, jetant le Sénat par la fenêtre, entrant Tépée à la main dans le Palais-Bourbon ou chassant M. Carnot de l'Elysée 1 Quelles autres...

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Fondé en 1836 par Armand Dutacq, Le Siécle bouleversa la presse française grâce à une stratégie éditoriale révolutionnaire pour l'époque. Comme La Presse de Girardin, fondée la même année, ce quotidien fixa son prix d'abonnement à 40 francs – c'est-à-dire la moitié de celui des autres journaux – et entrepris de compenser cette somme modique par d'autres revenus, tirés de la publicité. Traditionellement anticlérical, il deviendra l'organe de la gauche républicaine pendant une grande majorité de la Troisième République.

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