Extrait du journal
f çut le corps flottant de la malheureuse. Un des 1 enfants, le plus jeune, était attaché à sa ceinture ; le corps de l'autre était emporté plus loin. La cause de ce suicide accompagné d'un dou ble infanticide? La cause, c'est le désespoir amené par la misère. La pauvre femme ne pouvait, dit-on, subvenir par son travail à ses besoins et à ceux de ses enfants. Le second drame, plus épouvantable encore, a eu pour théâtre également un petit village, le PuyImbert, près cle Limoges. Ici, la tragédie est plus compliquée : il y a eu cinq victimes, les cinq en fants. La mère a tenté de se suicider après son quintuple infanticide. Mais elle a survécu à ses blessures, et elle a raconté au magistrat chargé de l'interroger tous les détails de son crime. Dé tails horribles : la misère était dans la maison de puis longtemps. Il y avait trois mois que le mari, le père, cherchait du travail et n'en trouvait ja mais régulièrement. Elle, le soin de sa famille l'occupait entièrement. Dans ces dernières se maines, on n'avait pour vivra que les secours du bureau de bienfaisance, quelques bons de pain. On n'osait pas mendier. A ce régime de priva tions des plus cruelles, de famine constante, les enfants dépérissaient. Le père, un jour, s'avisa de prendre deux tuyaux de plomb laissés près d'une bâtisse et alla les vendre. Il fut arrêté et con damné pour vol à deux jours de prison. C'est le cas de Jean Valjean, condamné au bagne pour avoir volé du pain, avec effraction. Les deux jours de prison, ajoutés à la misère, ont déterminé le crime. Restée seule, avec ses enfants affamés, avec le déshonneur entré dans la famille par la condamnation de son mari, en proie à toutes les tortures physiques et morales, la malheureuse résolut d'en finir. Elle dit à une de ses voisines : — Je ne puis pas nourrir mes cinq enfants avec les six sous par jour que je gagne à trier des chiffons; je vais me tuer avec mes enfants. La voisine ne vit dans ce langage qu'un cri de découragement, et ne crut pas que la pauvre femme mettrait ses paroles à exécution. Elle était pourtant déjà bien résolue, car, le jour même, elle vendit la chèvre qui servait de nourrice à son plus jeune enfant. Elle, la mère, avait son sein tari par les jeûnes prolon gés. La chèvre vendue, que fit-elle ? Elle acheta de l'étoffe, fit des vêtements neufs à ses enfants, les habilla très proprement, mit de l'ordre dans la maison et dit aux petits : « Ce soir nous allons faire un bon repas. » C'était le banquet funèbre, germé dans l'imagi nation de la malheureuse affolée. A ce repas de mort, préparé et présidé par la mère-en vêtement des dimanches, la petite famille fit honneur avec d'autant pius de joie que, depuis des mois, les pauvres enfants n'avaient pris part à pareille fête. Après le repas, ils s'endormirent. Elle les coucha, sans les déhabiller, dans leurs vêtements neufs, parés pour la mort. Vers dix heures, elle se mit à l'affreuse besogne, en commençant par le plus jeune et en ayant soin de ne pas réveiller les autres. Elle étouffa le petit contre son sein ; ce fut l'affaire d'une minute. Puis ce fut le tour de la fillette de trois ans,qui expira de même sans pous ser un cri. Le troisième, âgé de six ans, se dé battit et éveilla les autres. Avec le quatrième, âgé de onze ans, qu'elle n'avait pas surpris, comme les précédents, dans son sommeil, la lutte fut désespérée, mais il finit par succomber. Res tait une petite fille, l'aînée, âgée de dix ans. Les yeux agrandis par l'épouvante, elle vit sa mère s'approcher d'elle, et le dialogue suivant r— d'a près l'interrogatoire et les aveux de l'assassin — s'engagea entre la misérable et la fillette : — Tu veux donc me tuer aussi ! Ces mots furent dits par la petite d'une voix si suppliante et si douce que l'atroce femme, hé sita. — Ecoute, dit-elle à l'enfant, tes frères sont morts et je vais me tuer. Veux-tu rester avec ton père ? Seule, il pourra peut-être te nourrir. L'enfant répondit : — Non, je préfère mourir, moi aussi. Et elle l'étrangla, comme les autres. Y a-t-il dans l'histoire des crimes quelque chose de plus affreux que cette scène sanglante ? Cette femme n'est-elle pas la plus abominable des cri minelles? Et pourtant, dans la chaumière où les magis trats sont descendus, en présence de son mari, sorti de prison, voici ce qu'elle répond au juge qui l'interroge : — Nous étions malheureux ! Voilà pourquoi je les ai tués. Regardez-les, comme ils sont beaux. Pourquoi m'a-t-on rappelée à la vie, comme si une mère pouvait vivre sans ses enfants ? L'œil hagard, s'agitant en des gestes convulsilfs, elle répétait ces mots, qu'on dirait tirés d'une tragédie d'Eschyle i « Je les ai tous tués, tous, tous !... La misère est la fatalité moderne. Il est natu rel que ses victimes empruntent leurs accents à celle de la fatalité antique. Ce crime est certainement un des plus horribles...
À propos
Fondé en 1836 par Armand Dutacq, Le Siécle bouleversa la presse française grâce à une stratégie éditoriale révolutionnaire pour l'époque. Comme La Presse de Girardin, fondée la même année, ce quotidien fixa son prix d'abonnement à 40 francs – c'est-à-dire la moitié de celui des autres journaux – et entrepris de compenser cette somme modique par d'autres revenus, tirés de la publicité. Traditionellement anticlérical, il deviendra l'organe de la gauche républicaine pendant une grande majorité de la Troisième République.
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