Extrait du journal

L'exposition canine Ne dites jamais le Salon. On aurait le droit de vous reprocher d'être imprécis ; il y a, en.effet, une multitude de salons, depuis ceux de la Nationale et des Artistes français jusqu'à celui de l'Automobile en passant par le salon des P. T. T. Mais, si vous par iez, de l'Exposition, alors, tout le monde en France vous comprendra ; il n'y a qu'une exposition qui mé rite qu'on parle d'elle : c'est l'Exposition canine. C'était hier le vernissage, et l'on ne doit pas hési ter à se servir de ce terme, car les braves cabots expo sés avaient été si soigneusement frottés, épongés, étrillés qu'ils étaient luisants comme des tableaux neufs. La terrasse de l'Orangerie, aux Tuileries, était donc hier l'endroit select de Paris. Tous les proprié taires terriens.de France s'y étaient donné rendezvous, aussi bien ceux qui font valoir leurs terres au fond d'une lointaine province, que ceux qui en man gent :les revenus dans la capitale. Les visages rougis par les intempéries campagnardes voisinaient avec les faces blêmies sous l'électricité des cercles, les par dessus chics en forme de losange circulaient parmi les costumes de velours à côtes, les douze-reflets n'avaient point de dédain pour les casquettes de chas se. Tout le monde était affairé : on n'entendait que des phrases de ce genre : « Au revoir, mon bon, je suis pressé. » — «A une autre fois, mon cher, je n'ai pas une minute. » Songez donc ! Toto, le tekel noir et feu1 avait été, par une absurde méprise, enfermé dans un des boxes réservés aux cockers spaniels ! Et ce malheureux pointer Corsaire qui devait être arrivé à 'la gare Montparnasse ce matin à 3 heu res 22, n'était pas encore à l'Exposition à midi un quart. Le secrétariat était envahi, M. Boutroue, le secrétaire général, ss défendait avec bonhomie con tre les assauts qui lui étaient -livrés et le caissier se plaignait d'avoir dû déjeuner en retard. A chaque instant, des camions amenaient des char gements nouveaux ; caisses en bois, paniers en osier renfermaient un voyageur à quatre pattes, tout an xieux du sort qui l'attendait et secoué encore des ca hots d'une nuit de voyage. Aussitôt extrait de son étroite prison, le chien sans avoir eu le temps de s'ébrouer deux fois était conduit devant les employés chargés du placement, mené dans son box et dûment enfermé. Il est certain que s'il est très agréable de visiter ùne exposition canine, la plupart des exposés trou vent à y être enfermés fort peu de plaisir. On les voit, surtout le premier jour, se précipiter contre les grilles, essayer de grimper le long d'elles, flairer chaque visiteur, dans l'espoir que c'est le maître qui apporte la délivrance et jeter des hurlements de dé sespoir. Il y a, pour n'en citer qu'un seul, un chien de l'Alaska qui pousse des sanglots pareils à ceux d'un enfant. Quelle cacophonie produisent tous ces aboiements, on s'en rendra compte quand on saura que l'exposi tion contient seize cents chiens. C'est le chiffre le plus élevé qui ait été atteint depuis 37 ans que la société pour l'amélioration des races canines organise des expositions. Encore ce nombre aurait-il été beau coup plus élevé si le bureau n'avait éliminé sans hé siter une quantité de sujets médiocres. Ces éliminations ont eu cet excellent résultat que l'intérêt d'une visite à l'exposition a très augmenté. (I) Eugène Aubrie : Le Maroc d'aujourd'hui....