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Le Siècle, 28 septembre 1849

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Le Siècle
28 septembre 1849


Extrait du journal

roi, Louis XIV, défunt, rêvait une deces horreurs, impossibles à la vie, qu'on appelle le détrônement, l'incarcération et l'insulte d'un roi naguère tout puissant. Assister, fantôme palpable, à sa passion douloureuse ; nager dans un mystère incompréhensible entre la ressemblance et la réalité ; tout voir, tout entendre, sans brouiller un de ces détails de l'agonie, n'était-ce pas, se disait le roi, un supplice d'autant plus épouvanta ble qu'il pouvait être éternel ? —Est-ce M ce qu'on appelle l'éternité, l'enfer? murmura Louis XIV, au moment où la porte se ferma sur lui, poussée par Baisemeaui luimême. Il ne regarda pas même autour de lui, et dans cette chambre, adossé à un mur quelconque, il se laissa emporter par la terrible supposition de sa mort, en fermant les yeux pour éviter de voir quelque chose de pire encore. — Comment suis-je mort? se dit-il à moitié insensé. N'aura-ton pas fait descendre ce lit par artifice? Mais non, pas de souvenir d'aucune contusion, d'aucun choc. Ne m'aurait-on pas plutôt empoi sonné dans le repas ou avec des fumées de cire, comme Jeanne d'Albret, ma bisaïeule? Tout à coup, le froid de celle chambre .tomba comme un manteau sur les épaules de Louis — J'ai vu, dit-il, mon père exposé mort sur son lit dans son habit royal. Cette figure pâle, sitcalme et si affaissée; ces mains si adroites devenues insensibles ; ces jambes roidies; tout cela n'annonçait pas un sommeil peuplé de songes. Et pourtant que de ,songes Dieu ne devait-il pas envoyer à ce mort !.. à ce mort que tant d'autres avaient précédé, précipités par lui, dans la mort éternelle !!! Non, ce roi était encore le roi; il trônait encore,.sur ce lit funèbre, comme sur le fauteuil de velours. Il n'avait rien abdiqué de Sa Majesté. Dieu, qui ne l'avait point puni, ne peut me punir, moi qui n'ai rien fait. Un bruit étrange attira l'attention du jeune homme. Il regarda et vit sur la cheminée, au-dessous d'un énorme christ grossièrement peint à fresquë, un rat de taille monstrueuse, occupé à grignotter un reste de pain dur, tout en fixant sur le nouvel hôte du logis un regard intelligent et curieux. Le roi eut peur, il sentit le dégoût ; il recula vers la porte en pous sant un grand cri. Et comme s'il eût fallu ce cri, échappé de sa poi trine, pour qu'il se reconnut lui-même, Louis se comprit vivant, rai sonnable et nanti de sa conscience naturelle. — Prisonnier ! s'écria-t-il ; moi, moi, prisonnier ! i II chercha des yeux une sonnette pour appeler. ( — Il n'y a pas de sonnettes à la Bastille, dit-il, et c'est à la Bastille que je suis enfermé. Maintenant, comment ai-je été fait prisonnier? C'est une conspiration de M. Feuquet nécessairement. J'ai été attiré à Vaux dans un piège. M. Fouquet ne peut être seul dans cette affai re, Son agent... cette voix... C'était M. d'Herblay! je l'ai reconnu. Colbert avait raison. Mais que me veut Fouquet ? régnera-t-il à ma place? Impossible! Qui sait!... pensa le roi devenu sombre. Mon...

À propos

Fondé en 1836 par Armand Dutacq, Le Siécle bouleversa la presse française grâce à une stratégie éditoriale révolutionnaire pour l'époque. Comme La Presse de Girardin, fondée la même année, ce quotidien fixa son prix d'abonnement à 40 francs – c'est-à-dire la moitié de celui des autres journaux – et entrepris de compenser cette somme modique par d'autres revenus, tirés de la publicité. Traditionellement anticlérical, il deviendra l'organe de la gauche républicaine pendant une grande majorité de la Troisième République.

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