Extrait du journal
Ceci se passait la semaine dernière, le jour de la Sainte-Catherine, et je n'en ai perçu le bruit que plus tard : celle qui est l’objet de ce récit n'en a que plus de mérite, car elle n’a mis per sonne au courant de ses projets, pas même le secrétaire général de son théâtre, qui, tout sur pris, apprit la chose par celui qui la raconte ici. C’est de Sarah Bernhardt que je veux parler. Vous verrez qu’ello n’est pas seulement la grande tragédienne que l’on fiinalt ; elle est aussi l’amie de la jeunesse. A l’occasion de la Sainte-Catbenne, il est d’u sage à Paris, dans les grandes maisons de modes, de couture et de lingerie, d’offrir le champagne ou une collation aux ouvrières des ateliers et de leur permettre de quitter le travail de bonne heure ce jour-là. Pour utiliser cette liberté si rare dans ces métiers de luxe où les veillées se prolongent si souvent, les ouvrières d'un grand magasin de modes de l’avenue de l’Opéra, toutes admira trices de Sarah Bernhardt, toutes friandes de théâtre, eurent l’idée d’écrire à la grande artiste pour lui demander si elle ne pourrait pas mettre quelques places à leur disposition afin de pouvoir aller l’applaudir dans la Dame aux Camélias. Dire combien les ouvrières et les trottins parisiens raffolent de ces spectacles-là où leur petit cœur vibre d’émotions si humaines, si touchantes, est inutile. Aussi on peut juger de l’explosion de joie dans l’atelier en question quand, au reçu de la lettre, Sarah Bernhardt fit immédiatement téléphoner qu’elle mettait huit places à la disposition de ces demoiselles. Ce fut une quasi-révolution : on trépignait d’allé gresse, on montait sur les tables de travail où les chapeaux et les fleurs couraient, on le comprend, les plus grands dangers; on criait : « Vive Sarah! Vive Sarah I », ou portait les man nequins en triomphe. Les huit places offertes furent, non point tirées au sort, mais attribuées par le vote à celles des ouvrières que leurs camarades jugèrent dignes d’être envoyées au théâtre de la Renaissance. Le voilà bien, le sufl’rage universel, mais avec combien plus de délicatesse dans son application que l’autre, le nôtre. Quand vint le moment du champagne et de la collation, avec quelle ferveur on trinqua à la santé de Sarah ! Puis le soir vint ; attifées avec soin, avec ce goût des petites virtuoses de la mode parisienne qui, avec une toilette de rien du tout, vous ont des airs de grandes dames, les huit privilégiées, rayonnantes d’allégresse, sç présentèrent au théâtre où le contrôleur les fit placer au pre mier rang du balcon. Combien ces jeunes filles furent touchées de toutes ces attentions, de toutes ces prévenances, combien elles furent attentives et émues en écoutant les cinq actes de la Dame aux Camélias où Sarah parcourt toute la gamme de son merveilleux talent, combien elles applaudirent, on le comprend de reste. Je crois même que si elles avaient osé, elles seraient allées attendre Sarah Bernhardt à la sortie du théâtre pour pouvoir l’embrasser. Mais ce qu’il y a de plus beau dans cette géné rosité de l’éminente tragédienne, c’est qu’elle ne voulut point que seules profitassent de sa bonté celles qui avaient eu l’idée d’y recourir. Dans une dizaine d’autres grandes maisons elle avait envoyé des invitations à l’occasion de la Sainte-Catherine ; et la joie s’était doublée là du plaisir de la surprise, chez les quatre-vingts invitées des autres ateliers. Voilà ce que j’ai tenu à raconter: Sarah Bern hardt n’est pas seulement une. grande actrice elle est aussi une grande artiste; son art n’est point exclusif et ne s'adresse pas seulement à ceux que la fortune a favorisés; il dore de ses rayons féconds la jeunesse, il s’épand en rayons bienfaisants. La voix d’or de Sarah est l’aimant qui attire le public. Son cœur d’or est ce qui restera d'elle après sa fulgurante auréole. Louis Schneider....
À propos
Fondé en 1873 par Édouard Hervé, Le Soleil était un quotidien conservateur antirépublicain. Avec son prix modique, il cherchait notamment à mettre la main sur un lectorat populaire, audience qu'il n'arrivera toutefois jamais à atteindre du fait de ses orientations politiques. Le succès du journal fut pourtant considérable à une certaine époque, tirant jusqu'à 80 000 exemplaires au cours de l'année 1880.
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