Extrait du journal

L’ART DE SE DÉFENDRE Il est malheureusement prouvé par nombre de faits divers que, malgré le bon vouloir de la police parisienne, un citoyen tranquille qui s'est attardé peut être attaqué la nuit en rentrant chez lui. Une armée de vauriens se répand tous les soirs dans les divers quartiers, cherchant un passant à détrousser et n'hésitant pas, s’il fait de lac-rouspétance»,à lui enlever la vie en même temps que sa montre ou son porte-monnaie. Et la plupart du temps,on n’est pas préparé à ce genre d'assaut, qui arrive un peu sur la tête comme la tuile ou le tuyau de cheminée. On crie, on appelle au secours; mais généralement, par un malheureux hasard, les sergents de ville sur viennent quand la victime, râlante, gît à terre, et que les escarpes filent avec leur butin. Mais on est exposé à d’autres mésaventures où l’existence n’est pas moins en danger.On a eu, par exemple, l’imprudence, ayant soif, d’entrer dans le premier cabaret venu.Tout près de vous une querelle a lieu, les adversaires ne tardent pas à en venir aux mains, et vous voilà dans la mêlée, recevant des coups de pied et des coups de poing. D’autre part, vous avez une querelle avec un interlocuteur emporté, ceux que l’on appelle communément des mauvais coucheurs. A bout d’arguments, cet irascible qui a appris la boxe vous envoie un coup de poing sur la figure. Dans quel monde vivez-vous donc? me dira-ton. Dans le monde moderne, qui a bien changé et ne ressemble guère à l'ancien. Pour s'en convaincre, il suffit d’assister à une séance de la Chambre. Et ce n'est pas sans raison, exclu sivement pour développer leur agilité, que les gentlemen apprennent aujourd’hui la boxe et le chausson, la canne et le bâton, même le jeu du couteau. Item, il faut se défendre et c’est cet art-là, car c’en est un, que notre confrère Emile André va nous révéler en un piquant et instruc tif petit livre. Emile André est une des physionomies les plus sympathiques en même temps que les plus originales de la presse parisienne. Il a fait de l'escrime et de tous les sports sa spécialité, et il a acquis en toutes ces choses une véritable science, qui en fait un excellent arbitre et un juge qui inspire la confiance. Personne n'est plus au courant que lui de ce qui se passe dans les salles d’armes ; il connaît les prévôts, il sait tous les tireurs, et du matin au soir il ne pense qu’à cela. Aussi, quand on le voit apparaî tre dans certains restaurants ou cafés, le soir, tout près du boulevard, peut-on être assuré qu’il y a pour le lendemain rencontre sensa tionnelle sur la planche. Il en voudrait une par jour; mais, hélas 1 depuis quelque temps, comme il dit en sonpirant,«si cela continue,la rubrique va tomber». Le jugeant sur ce mot, n'allez pas le prendre pour un spadassin, un querelleur cherchant af faire. Malgré son visage pâle, ses moustaches noires se terminant en pointes relevées, ses yeux de feu, son front où se lit la résolution et le courage, il est, comme tous les vrais ma nieurs d’épée, le conciliateur par excellence. Seulement, il a le lyrisme de sa spécialité, et c'est plaisir de lui entendre raconter une ren contre, expliquer les coups. Le courage, la pres tance, le calme et le sang-froid l'enthousias ment C'est aussi en vrai artiste qu'il a voulu mettre en garde les hommes les plus paisibles et leur démontrer qu’il est toujours bon de sa voir comment, à l’occasion, on peut se débarras ser d’un rôdeur de nuit, ou se tirer d'affaire dans une rixe. Il n'y a pas de coup qui n’ait sa parade, même celui du père François, et ce sont ces secrets une révélé Emile André....