Extrait du journal
CE N'EST PAS POSSIBLE ! On raconte, on dit, on affirme que les jeunes gens qui se trouvaient au Bazar de la Charité quand l’incendie a éclaté sc sont empressés de fuir, et, poussés par le désir de sauver leur peau, ont, pour s’ouvrir le passage, bousculé brutale ment les femmes avec lesquelles ils Heur taient quelques minutes avant, oubliant, dans leur affolement, le précepte arabe qui dit qu’ « il ne faut pas frapper une femme, même avec une fleur ». Ce n’est pas avec une fleur qu’ils ont frappé : c’est à coups de poing et à coups de canne. On donne des détails, on parle de cannes retrouvées sur ce tristechamp de bataille, où des jeunes gens du « meil leur monde » se seraient conduits avec les femmes de leur monde à peu près comme les Turcs avec les femmes armé niennes, qu'ils éventrent, piétinent et assomment ; et certaines de ces cannes devenues une arme entre les mains de ces Messieurs porteraient des traces ac cusatrices : du sang coagulé avec des cheveux de femme! Mais je ne veux pas croire que ce qu’on raconte, ce qu'on dit, ce qu’on affirme, avec des détails précis, en citant même des noms, soit vrai. Les jeunes gens qui étaient au Bazar de la Charité appartien nent à la haute société française, c’est le dessus du panier, c’est le grand monde, c’est le gratin. Il y en a, peut-être, dont les ancêtres étaient à Fontenoy. Quelle belle attitude ils avaient, ceux-là, disant à leurs ennemis, sur le champ do ba taille : « Messieurs, tirez les premiers! » S'ils s’étaient souvenus de leurs pères, les jeunes gentilshommes du Bazar delà Charité auraient dit à celles qui étaient en danger : « Mesdames, passez les pre mières. » On assure qu’ils ont passé les premiers, jouant des poings et de la canne, par les fenêtres vers lesquelles on sc précipitait pour fuir et que telle a été dans la circonstance leur façon de des cendre des croisés. Non, je ne crois pas que de tels actes de défaillance sc soient produits. Des jeunes gens « du monde », portant les plus beaux noms qu’on nomme, ne frap pent pas les femmes; ils les protègent, les défendent dans le danger et, s’ils ne peuvent pas les sauver, ils meurent avec elles : Des chevaliers français tel est le caractère. C’est le hasard seul, évidemment, un fâcheux hasard, qui a voulu que tous les jeunes gens qui sc trouvaient le 4 mai au Bazar de la Charité aient échappé au danger, tandis que cent trente femmes périssaient dans les flam mes. Celles qui racontent que des Mes sieurs « très bien» leur jetaient, en s’enfuyant, des chaises dans les jambes; celles qui disent avoir vu et senti les poings frapper et les coups de canne s’abattre sur les têtes; celles qui ont sur la joue ou sur l'épaule la marque du talon de bottine qui les a piétinées, se trompent certainement : folles de ter...
À propos
Fondé en 1873 par Édouard Hervé, Le Soleil était un quotidien conservateur antirépublicain. Avec son prix modique, il cherchait notamment à mettre la main sur un lectorat populaire, audience qu'il n'arrivera toutefois jamais à atteindre du fait de ses orientations politiques. Le succès du journal fut pourtant considérable à une certaine époque, tirant jusqu'à 80 000 exemplaires au cours de l'année 1880.
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