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Le Soleil, 26 avril 1898

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Le Soleil
26 avril 1898


Extrait du journal

La guerre. — Le rôle des Etats-Unis. — Questions en suspens. « Reste donc la guerre inévitable dans un avenir plus ou moins éloigné. » Il y a un mois, presque jour pour jour (Soleil du 24 mars), que je terminais par ces mots une appréciation générale de la situation qui se dessinait entre les EtatsUnis et l’Espagne. L’événement s-’est chargé d’en faire une prophétie réalisée plus vite encore que je ne le prévoyais. Depuis jeudi dernier, les hostilités sont ouvertes. Dieu seul peut savoir quelle en sera l’is sue, à moins d’une intervention de l’Europe qui vienne en arrêter le ôours; mais l’éven tualité n’est guère probable. La proposition, fut-elle mise en avant, serait infaillible ment rejetée par les Etats-Unis : ils ont déjà signifié leur intention de ne permettre à personne de sc mêler de leurs affaires. Sur quelles bases, d’ailleurs, pourrait s’exercer une médiation quelconque? C’est la question à laquelle sont venus se heurter jusqu’ici tous les bons vouloirs in ternationaux, et elle est pratiquement plus insoluble que jamais. D’un côté, l’Espagne repousse toute idée de renoncer à Cuba. De l’autre, les Etats-Unis exigent qu'elle l’abandonne sans esprit de retour et abdi que toute prétention à un droit de souve raineté ou de suzeraineté si modeste qu’il soit. ’ Entre ces deux altitudes absolument inconciliables, n’apparait aucun moyen terme, et l’on comprend sans peine que les gouvernements neutres, même ceux qu’a niment les intentions les plus désintéres sées, aient finalement renoncé à tenter un rapprochement impossible. Quelques-uns espèrent encore que le résultat des premières opérations militaires pourra modifier ces dispositions. J’en doute; dans tous les cas, il n’y a plus, pour le moment, autre chose à faire que de laisser ’ la parole aux événements. L’Espagne ne se dissimule pas que les chances sont contre elle, et elle n’a accepté l’alternative d’une rupture que lorsqu’il était devenu impossible pour elle de faire autrement sans un irréparable sacrifice de sa dignité. Le gouvernement de Washington, au con traire, confiant dans sa force et sa richesse, aborde en toute certitude du succès, pour ne pas dire en toute arrogance, une lutte où il considère d’avance comme assurée une prompte et facile victoire. Peut-être les événements se chargeront-ils de faire payer aux Américains la résolution qu’ils prennent plus cher qu’ils ne s’y attendent.Les débuts de la guerre, tout au moins, pour inégales que soient les forces des bel ligérants, pourraient bien leur réserver des surprises auxquelles ne les a pas pré parés leur incontestable supériorité maté rielle. Il n’y a, quant à nous, qu’une seule chose à faire : attendre les événements. Il ne faudrait pas que le gouvernement et le peuple américains se fissent illusion sur le jugement presque unanime que pro voquent leur conduite et leur politique. Ils auront certainement pour eux l’Angle terre, à qui les rattachent la communauté d’origine et des affinités de race qui éta blissent entre les deux pays un lien do famille. Mais cc sera tout. Le reste du monde n’aura qu’une voix pour condamner cet étrange sans-gêne qui subordonne toutes les considérations de droit international à la seule co tvenance d’un pays et fait litière des principes les plus sacrés, du moment où ses appétits sont en jeu. C’est un côté de la question dont on no s’estpas suffisamment préoccupé àWashington, et en général dans l’Union. La nation presque entière s’est laissé emporter par une convoitise désordonnée, et n’a voulu entendre autre chose que cc qu’elle croit être son intérêt. Peut-être aura-t-elle à le regretter amèrement, quelle que soit l’issue de la guerre qui commence ci qui nous re porte aux temps où la force brutale était, de fait, la seule loi du monde. A quoi riment, en effet, les arguments dont les Etats-Unis essayent de colorer leurs desseins, et qui en serait dupe ? Personne n’ignore que, depuis un demisiècle, ils convoitaient la possession de Cuba. Personne ne se laissera prendre à la déclaration hypocritement glissée dans les résolutions votées par le Congrès et qui, aux yeux des crédules seuls, peut paraître un engagement de ne pas s’annexer la Perle des Antilles. Tout le monde sait, au contraire, qu’ils n’ont pas cessé de la convoiter depuis le temps où le président Monroe formulait sa fameuse doctrine, et que leurs manœuvres se retrouvent dans toutes les tentatives d’insurrections, plus ou moins spontanées, qui ont eu lieu parmi des groupes de co lons, dont la connivence américaine faisait la principale force. Les fautes commises par l’Espagne, en tant que métropole, sont incontestables. Mais le voisinage et les agissements des Etats-Unis y sont peut-être entrés pour une part plus large que les inspirations et les errements du cabinet de Madrid. Dans tous les cas, ces fautes ne sauraient justifier ce que nous voyons, et moins encore ce qui, trop probablement, se prépare. Une grande inconnue reste à résoudre avant que les événements n aillent plus loin et ne s’engagent à fond. Les Etats-Unis, aussi bien que l’Espagne, sont restés en dehors de la Conférence de Paris qui posa, au lendemain de la guerre de Crimée, il y a maintenant près de qua rante ans, les bases du nouveau droit inter national, en définissant ce qu’il faudrait en tendre, à l’avenir, par droits des neutres et contrebande de guerre. Les stipulations alors arrêtées ont laissé à régler, notam ment, tout ce qui.se rapporte à la course maritime et aux droits des belligérants sur la marchandise ennemie prise en haute Il faut, cela va sans dire, que ces points...

À propos

Fondé en 1873 par Édouard Hervé, Le Soleil était un quotidien conservateur antirépublicain. Avec son prix modique, il cherchait notamment à mettre la main sur un lectorat populaire, audience qu'il n'arrivera toutefois jamais à atteindre du fait de ses orientations politiques. Le succès du journal fut pourtant considérable à une certaine époque, tirant jusqu'à 80 000 exemplaires au cours de l'année 1880.

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