Extrait du journal
On sait que la Ville de Paris se pro pose de fêter le centenaire de Michelet. C’est au mois d’août, le jour anniversaire do la naissance du grand historien, que devait avoir lieu cette solennité, dont le programme restait à fixer. Les intentions prêtées auxorganisatcurs dccettc commé moration n’ont sans doute pas été toutes du goût de Mme Michelet, qui, si elle en admet le principe, entend bien être con sultée un peu pour les détails. Elle vient donc de faire connaître sa volonté en quelques pages vraiment éloquentes et toutes remplies de piété pour la mémoire de celui auquel elle avait uni sa vie, et dont elle fut, dans les dernières années, le collaborateur dévoué. C’est à elle, on peut le dire, que nous sommes redevables de cette succession de beaux livres, la Mère, l'Oiseau, Y Insecte, — où l’annaliste génial consacra les couleurs de sa pa lette aux grandes choses de la nature, comme à scs infiniment petits. Poète, il n’avait pas cessé de l’être pendant tout le temps consacré par lui à fouiller nos origines, à chercher dans les amas de parchemins inexplorés l’âme nationale de la France. Mme Michelet exprime donc sans dé tour une première pensée, c’est que la meilleure manière d'honorer la mémoire de son mari, c’est de célébrer la fête du Passé. Et je m’empresse d’ajouter que dans ce passé, rien de ce qui fut grand, de ce qui couvrit de gloire le pays, ne serait exclu si l’on avait le bon esprit d’écouter les conseils de la veuve de l’un de nos plus attachants historiens. G'estainsi que Mme Michelet a la hardiesse de déclarer que les croisades contribuèrent à mani fester pour la première fois lé senti ment de solidarité qui unissait nos pro vinces entre elles. A la vieille Monarchie, elle sait aussi rendre justice et attribuer la part d’ini tiative qui lui revient dans ce travail d’affranchissement et de cohésion des communes qui nous menait à la forma tion du royaume. Mais, fidèle aux con victions de Michelet, elle montre aussi le peuple, nos Jacques, toujours prêt à relever cette unité chancelante après Crécy, Poitiers et Azincourt. Le salut, dit-elle, naquit du sillon, et c’est encore de lui qu’est sorti Jeanne d’Arc. L’évocation de tous ces grands souve nirs, Mme Michelet l’espère, nous per mettra de « reprendre le cœur de nos pères », et alors « nous regretterons nos disputes, nos divisions qui font la joie de nos ennemis ». On ne saurait trop louer d'aussi nobles pensées, que l’on ne croi rait pas seulement dictées, mais écrites par Michelet à la bonne époque de sa vie, quand il était dominé exclusivement par la grandeur des événements qui concou rurent à l’établissement glorieux de cette nation. Les modernes qui organisent le centenaire de Michelet envisagent-ils le passé avec ce même éclectisme, et la so lennité projetée ne doit-elle pas, dans leur esprit, tenir à la réalisation de tous autres desseins ? Quand on pense que les Chambres se sont séparées sans avoir voté la fête de Jeanne d’Arc, on est en droit de se de mander si le conseil municipal de Paris associera le nom de la grande héroïne à celui qui fut cependant son premier historien. C’est ce que Mme Michelet a soin de rappeler, et avec raison, car si l’on a beaucoup écrit sur la pucellc d’Orléans, aucun livre n’a retracé avec plus d’émotion, d’amour,l’apparition ex traordinaire do cette Lorraine qui est pétrie de toutes les tendresses pour sa terre natale, de tous les courages pour la sauver. Jeanne d’Arc ! Michelet en avait fait sa chose, il vivait chaque jour d’elle, pour elle et par elle, et après les révélations de Mme Michelet, on con çoit les admirables pages inspirées par ce tête-à-tête où l’annaliste parvient même à surprendre les voix, à en con naître le son, à être pénétré de la mission divine de Jeanne. On commence seule ment à comprendre l'importance de cellc-ci et l’on peut se demander si la Pucelle après avoir accompli un miracle de son vivant, n’est pas encore appelée, plu sieurs siècles après son martyre, à pro voquer notre relèvement, à sauver une seconde fois notre unité. Remarquez que pendant quatre cents ans au moins, c’est à peine si son nom est prononcé ; on l’a oubliée. Il a fallu nos malheurs, les me naces permanentes d’un ennemi qui pré pare notre ruine, pour qu’instinctivement la nation, sans distinction départi, fasse appel à ce souvenir de la grande libératrice, dont Michelet, longtemps avant nos malheurs, avait deviné la force et proclamé la sainteté*...
À propos
Fondé en 1873 par Édouard Hervé, Le Soleil était un quotidien conservateur antirépublicain. Avec son prix modique, il cherchait notamment à mettre la main sur un lectorat populaire, audience qu'il n'arrivera toutefois jamais à atteindre du fait de ses orientations politiques. Le succès du journal fut pourtant considérable à une certaine époque, tirant jusqu'à 80 000 exemplaires au cours de l'année 1880.
En savoir plus Données de classification - michelet
- méline
- jaurès
- léon bourgeois
- comte al
- péters
- castelar
- sham
- barthou
- sagas
- russie
- angleterre
- espagne
- paris
- france
- europe
- allemagne
- washington
- cuba
- new-york
- havas
- sénat
- parlement
- cologne
- olympia
- kingston