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Le Soleil, 26 juillet 1895

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Le Soleil
26 juillet 1895


Extrait du journal

Pendant les vacances parlementaires, nous no publions qu'un Supplément par semaine.Ce Supplément est joint au numéro du dimanche. ToTde ouERPÆTimT La loi sur l’espionnage et la trahison que le gouvernement a préparée, que la commission de l’armée à ratifiée, que la Chambre a enregistrée « sans débat » est une loi de guerre civile. Elle estime loi de guerre civile en deux sens ; d’abord, elle est une loi comme on n’en voit que dans les temps de guerre civile ; d’autre part, votée en temps nor mal, elle est tout à fait propre à fomen ter la guerre civile. Ce n’est, d’ordinaire, qu’en guerre ci vile qu’on établit le régime militaire et l’état de siège sur toute la nation, qu’on rend tous les citoyens justiciables des tribunaux militaires. Pour qu’on en arri ve à de telles mesures, il faut habituelle ment qu’une violente secousse ait déchaî né la brutalité, la férocité des passions mauvaises. Or, il no s’est rien produit de pareil : nous traversons une période de tranquil lité, mémo une période de torpeur. 11 n’est rien arrivé qu’un acte individuel de trahison, dont le gouvernement a tâché par tous les moyens de sauver l’auteur. Il n’y a pas de guerre civile à réprimer. Le gouvernement veut donc en fomenter une? On pourrait le croire. Les nécessités de la défense nationale, ou plutôt l’engouement pour le système militaire prussien, ont imposé à la nation de très lourdes obligations. En théorie au moins, tous les citoyens passent par le régiment. Dans cette réunion prétendue égalitaire d’hommes inégaux de toutes les manières,qui étaient la veille et qui seront le lendemain inégaux par leurs situations sociales, qui restent surtout inégaux par leur culture, la discipline militaire se maintient au moyen de conventions arbi traires, quelquefois absurdes. Par sagesse, par patriotisme, avec une abnégation surprenante, toutes les fic tions sans lesquelles l’armée ne saurait subsister ont été respectées par le plus frondeur des peuples. Chaque citoyen a fait au pays le sacrifice de ses répugnan ces, de scs dégoûts, de ses révoltes. Le système du service militaire universel fonctionne et continuera de fonctionner sans obstacle. Le Français donne à la pa trie, suivant les distinctions de la loi de recrutement « égale pour tous », un an, deux ans, trois ans de sa vie pour le ser vice actif, deux mois et demi pour les exercices ultérieurs, et tout le temps qu’il faudra pour une guerre euro péenne. Durant ces périodes, il est militaire, soumis aux lois militaires, aux juridic tions militaires ; hors do ces périodes, il est un citoyen civil, soumis aux lois ci viles, aux juridictions civiles. La loi nouvelle aurait pour effet de « militariser » l’existence entière de tous les Français. Elle aurait pour effet, en môme temps, de ressusciter l’ancienne et funeste ani mosité de la population civile contre ce qu’on appelait autrefois l’élément mili taire. Maintenant qu’il n’y a plus de soldats de carrière, que tous les jeunes gens ar rivés à la caserne comptent un par un tous les jours qui les séparent de la libé ration, l’élément militaire ne comprend plus que les vingt-cinq mille officiers de l’armée active. Ce sont eux qui compose raient les conseils de guerre. Les officiers d’aujourd’hui vivent non seulement en paix, mais en bonne ami tié aveu la population civile. Au régiment, ils mettent presque tous beaucoup de tact dans leurs rapports avec cette foule innombrable, hétérogène, qui ne fait que passer sous leurs ordres. Hors du régi ment, ils sont accueillis et fêtés partout. J1 faut qu’il en soit ainsi entre gens qui peuvent aller demain combattre et mou rir ensemble pour la cause commune. Que va faire la loi « d’espionnage et de trahison » ? Une chose terrible : Elle allumera la guerre entre l’élément civil, c’est-à-dire toute la nation, et l’élé ment militaire, c’est-à-dire les vingt-cinq mille officiers de l’armée. Croit-on que les citoyens traduits de vant les tribunaux militaires par une sorte de loi révolutionnaire accepteront cette juridiction? Ils la subiront sans la reconnaître ; ils subiront ses arrêts comme des violences. Les officiers n’ont pas de chance. Au moment de la terreur anarchiste, il s’en est fallu de peu qu’on ne les chargeât de quelques exécutions sommaires. On pense à eux maintenant pour exécuter sommairement les journalistes gêneurs. Pour qui les prend-on ? Quand ils ont senti en eux la vocation, ce n’était pas la vocation de ce métier-là. Sûrement, ils ne veulent pas d’une besogne qui serait mauvaise pour eux autant que pour nous, et surtout mau vaise pour la paix publique. Qu’on suppose un écrivain condamné par le conseil de guerre pour avoir usé de son droit de citoyen, de contribuable, de Français, en surveillant les intérêts de la défense nationale ; sa peine accom plie, dans quelles dispositions sortira-tq de prison ? A quelles représailles ne...

À propos

Fondé en 1873 par Édouard Hervé, Le Soleil était un quotidien conservateur antirépublicain. Avec son prix modique, il cherchait notamment à mettre la main sur un lectorat populaire, audience qu'il n'arrivera toutefois jamais à atteindre du fait de ses orientations politiques. Le succès du journal fut pourtant considérable à une certaine époque, tirant jusqu'à 80 000 exemplaires au cours de l'année 1880.

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