Extrait du journal

Le Journal des Débals traduisait der nièrement un document de nature à in téresser ceux qui ont souci du sort des travailleurs. C’est le livre de comptes d’un ébéniste de Londres, qui, pendant Irentc-scpt ans, a consigné exactement, année par année, ses gains et ses dépen ses. Toute la vie de cet ouvrier y est ra contée en chiffres. On y assiste, année par année, semaine par semaine, aux événements qui interviennent dans son existence. En 1850, il gagne 15 shillings par semaine. Son logement et sa pen sion absorbent la totalité de son salaire. En 1853 sa situation s’améliore. 11 gagne 10 shillings par semaine. Il profite de son aisance relative pour se marier. La rubrique : « Logement et pension » dis paraît du livre de comptes pour faire place à celle-ci : « Loyer et pain de mé nage. » On est deux à manger à la mai son : Les dépenses augmentent en même temps que les recettes. En 1854 il naît un enfant. Le livre de comptes fait res sortir une dépense de 6 livres sterling pour médecins et sages-femmes. Puis l’enfant, l'année suivante, tombe malade et meurt. L’événement est consigné dans le budget de l’année : « Honoraires du médecin : 2 livres. Enterrement de notre chère petite Rose : 4 livres 10. » L'ou vrier a beau travailler durement, faire des heures supplémentaires, il se trouve, à la fin de l’année, devoir 16 livres ; c’est que, dans nos sociétés civilisées, où tout se paye, cela coûte cher de naître, et plus cher encore de mourir 1 D’autres enfants naissent. Il faut les nourrir, les élever. La femme de l’ou vrier se met à travailler pour pouvoir équilibrer le budget que menace le défi cit. On arrive à payer les dettes et à se remettre à flot. En 1871, le père, la mère, K a te la fille aînée et scs deux frères Tom et Frcd gagnent 110 livres ; mais, si les charges diminuent d’un côté, elles aug mentent de l’autre. L'ouvrier a une mère figée à laquelle il vient en aide, et il y a l’oncle Jim à qui il faut aussi donner quel que chose; cela fait quen 1872 les dettes reparaissent, et l’exercice se clôt par un déficit de 8 livres. Il est vrai que, l’an née suivante, il y a un excédent d’égale somme, mais cela ne dure pas, car, en 1874, le déficit a augmenté et se trouve Mre de 32 livres. Et les années s’écoulent ainsi. L’ou vrier dont nous parlons ne met jamais Ses pieds au cabaret. Il ne fait pas le lundi. Sa seule distraction, sa seule dé pense de luxe est de faire, de temps à luire, avec sa famille, quelques excur sions à la campagne : on ne peut pas vivre sans jamais absorber quelques gorgées d’air pur. Au boutde trente-sept ans cet ouvrier honnête et laborieux, après avoir élevé sa famille, se trouve dans une situation moins bonne qu’au début de sa vie, car il a plus de charges, et, comme ses forces ont diminué, qu’il ne pcutplus fournir au ta nt de travail,il gagn e proportionnellement moins. Il paye son loyer par acomptes et a toujours un ar riéré qui n’est jamais réglé. Que ses fils, mariés eux-mêmes et chargés de famille ne puissent, à un moment donné, lui venir en aide, comme il a lui-même aidé ses parents, et il n’a devant lui que l’hô pital. Voilà le sort de l'ouvrier, en France comme en Angleterre. Vraiment un pauvre homme qui peine toute sa vie pour arriver à un pareil résultat a besoin de croire que la vertu trouve sa récom pense dans l’autre monde. Car, dans celui-ci... Eh bien, je crois qu’il n’en devrait pas être ainsi et qu’une société où un homme honnête, laborieux et économe, après avoir travaillé toute sa vie et fondé une famille, n’a pour perspective que la misère et l’hôpital à la fin de ses jours, est une société mal faite et qu’il faut réformer. Dans nos pays, écrivait, il y a vingt ans, M. Renan, la condition du pauvre est horrible. Il n'a pas, littérale...