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Le Temps, 7 août 1898

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Le Temps
7 août 1898


Extrait du journal

L'EGALITE DES SANCTIONS > FOUR- LES ÉTUDES INÉGALES ~ M. Alfred Fouillée nous Adresse, ainsi qu’à plusieurs journaux, une lettre où, sous ce titre qui en résume l’esprit : « L’égalité des sanctions pour les études inégales », il reproche à M. Léon Bourgeois d’avoir soutenu, dans son discours au concours général, que le baccalauréat mo derne devrait avoir l’accès des mêmes, carrières que le baccalauréat classique. j Ainsi deux genres d’études sont inégaux sous le rapport de la durée, de la qualité, de la « direction ». Inégaux on durée, puisque l’enseignement moderne dure un an de moins, qu’il peut encore être abrégé, qu’on parle de le réduire à quatre années, qu’il est effectivement réduit à quatre ou 'trois ans par les congrégations, par les écoles des frères, par les établissements primaires où prospère de plus en lus la préparation expéditivo au baccalaureat moeme et sur lesquels le ministre a fait un silence prudont. Inégaux en qualité, puisque l’enseignement mo derne est notoirement plus facile, plus à la portée du grand nombre, plus rapproché du simple emma gasinage scientifique, historique et géographique, moins tourné vers la haute culture littéraire et phi losophique, plus préoccupé de l’utile que du beau,de la pratique que de la spéculation. Inégaux par le but et la direction, puisque l’un a essentiellement pour objet, avec une éducation toute libérale, les fonctions également appelées libérales, qui, bien comprises, devraient être avant tout des. missions désintéressées — missions de justice pour les avocats et magistrats, missions d’enseignement et d’éducation pour les professeurs, missions de sa lut physique et mental pour les médecins — avec toutes les responsabilités morales qu’un tel rôle so cial entraîne. Quant à l’enseignement spécial moder nisé, son unique raison d’étre, pour ne pas consti tuer le plus fâcheux Rouble emploi, est dans une orientation franche vers le commerce, l’industrie, l’agriculture, la colonisation, où il ost naturel que dominent le souci do l’utile et les intérêts d’ordre matériel. Pour être d’une nécessité absolue, ces in térêts n’en sont pas moins, moralement et sociale ment, inférieurs aux autres. Dans ces conditions, qu’est-ce que réclameraient également et la logique et la «justice » ? Que chaque ordre d’enseignement restât dans son domaine pro pre, que le nouveau ne dépouillât point l’ancien de ses légitimes conditions d’existence, que le plus court, le plus aisé et le moins élevé ne fût pas dé-, claré équivalent à l’autre. Comment donc ose-t-on nous annoncer, comme une réforme de justice, l’é galité des sanctions pour des enseignements iné gaux ! Le jour où cette égalité serait obtenue, une souveraine iniquité serait accomplie. La réforme dont M.> Léon Bourgeois s’est dé claré partisan paraît à M.. Fouillée avoir pour but politique « de plaire, soit à une fausse et niveleuse démocratie, soit à des électeurs avides pour leurs enfants de diplômes au rabais con duisant à des places ou à des dispenses militai res ». Il craint qu’en sacrifiant à un faux égali tarisme, ceux qui pensent comme M. Bourgeois n’arrivent qu’à faire les affaires des industriels de l’enseignement fnoderne, au grand dommage des carrières libérales déjà si encombrées, de la haute culture qu’on ne couvre de fleurs que pour l’étouffer, et de l’influence de la France, vis-à-vis des autres nations, lesquelles savent' très bien favoriser les études classiques tout en faisant leur part légitime aux études- industriel les et commerciales. De deux choses l’une, conclut M. Fouillée : ou l’en seignement moderne est aussi prospère que veut bien le dire M. le ministre de l’instruction publique, et alors commenta-t-il besoin, pour se sauver, de « débouchés » qui ne sont autre chose que le do maine propre des études classiques ? ou l’enseigne ment moderne périclite, en dépit de l’optimisme of ficiel, et alors son vrai moyen de salut n’est-il pas de revenir à sa destination primitive, qui est prati que, au lieu de vouloir, par une concurrence à bon marché, tuer le classique et se mettre à sa place? N’avais-je pas le droit et le devoir, bien que M. le ministre me reproche cette expression, de définir un pareil système : l’invasion des carrières libérales par « les médiocrités égoïstes », c'est-à-dire par les pa rents et les enfants qui, en vue d’intérêts person nels, veulent usurper les avantages d’une haute culture libérale dont ils ont eu soin de se dispen ser? '■ Et si j’ai ajouté que chacun doit rester à sa place, que l’instruction primaire plus ou moins modifiée ne doit pas se substituer à l’instruction secondaire, pas plus que celle-ci à l’instruction supérieure, est-ce une raison pour m’accuser de « méconnaître ou de n’avoir jamais connu l’admirable travail d’éducation morale et sociale qui s’accomplit dans la moindre de nos écoles de village? » Je suis, pour plus d’une raison, parmi les derniers qui puissent paraître in différents ou étrangers à l’éducation du peuple. Mais, l’amour profond que j’ai pour le peuple ne me fera jamais oublier que l'enseignement primaire plus ou moins perfectionné ou développé n’est pas toute l’instruction nécessaire àun pays comme la France, qui a derrière soi un long passé de gloire littéraire et philosophique. L’intérêt même de l’éducation populaire est d’a voir au-dessus d’elle une instruction vraiment su périeure d’où elle reçoive des lumières comme d’un loyer sans cesse plus ardent. La vrai© démocratie est celle qui veut monter tou jours, non celle qui, nivelant tout sous prétexte d’une fausse égalité, se condamne toujours à des cendre. Tout en rendant hommage à la vigoureuse dialectique de M. Alfred Fouillée, on peut se demander si elle est absolument concluante. Son argumentation se ramène au syllogisme suivant : Il est injuste d’accorder des sanctions égales à des études inégales; or, 1’enseignement moderne et renseignement classique sont inégaux ; donc, il est injuste de leur accorder des sanctions égales. La majeure du raisonnement ne nous paraît pas inattaquable, car, en fait, dans l’enseigne ment classique lui-même, un diplôme qui con fère à tous aesdroits égaux est obtenu à la suite d’études très inégales. Les élèves, médiocres ou...

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

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