Extrait du journal

Aujourd'hui comparait devant la cour d’assises de la Seine, présidée par M. Pilet-Desjardins, Alexis Suire, l’administrateur du bureau de bienfaisance du 12° arrondissement, poursuivi pour détourne ments à l’aide de faux, au préjudice de l’Assistance publique. Suire est un homme de cinquante-sept ans, aux cheveux bouclés, tout blancs, comme sa barbe, très fournie. C’est un ancien marchand de vin de Bercy. Il s’était retiré du commerce avec 3,000 francs de rente quand, en 1888, il fut nommé administrateur du bureau de bienfaisance du 12° arrondissement. Quoique marié, il avait des mœurs plus que léf ères. Pour satisfaire ses passions, il ne trouva ientôt rien de mieux que ae mettre à contribution les fonds dont il était chargé de faire la répartition. Il avait fait la connaissance d’une veuve Guyon, âgée d’une quarantaine d’années, inscrite au bureau de bienfaisance. Au cours d’une visite qu’il lui fit, il lui proposa de lui allouer une somme de 25 francs par mois si elle voulait consentir à devenir sa maîtresse. La veuve Guyon, qui avait quatre enfants sur les bras et une mère infirme, accepta. Dès lors, Suire se servit d’elle pour commettre quelques-uns de ses détournements. Son procédé était des plus simples. Il délivrait des bons de se cours, au nom de femmes décédées, qui avaient été inscrites au bureau de bienfaisance, et les faisait toecher à la caisse par sa maîtresse. D’autres fois, il visait des bons au nom d’indigentes auxquelles des secours avaient été refusés. Treize bons ont été ainsi encaissés par la veuve Guyon, mais vingt-cinq autres l’ont été, dans des conditions analogues, par d’autres femmes restées inconnues. II est probable que Suire aurait pu continuer assez longtemps encore ses petites opérations — qui, d’ailleurs, n’ont guère coûté à l’Assistance publique qu’un millier de francs — si la veuve Guyon n’était devenue atrocement jalouse. Le vieux galant, en effet, jouait avec d’autres in digentes le môme rôle qu’avec la veuve Guyon. Celle-ci le surprit un jour au bras d’une rivale, lui fit. une scène et alla dénoncer au conseiller munici pal du quartier de Picpus les malversations de l’ad ministrateur. Suire, après une information rapide fut arrêté. Devant les jurés, il reconnaît aujourd’hui la plu part des faits. — Mais, dit-il, je n’ai agi que par humanité, pour avantager des malheureuses I Du reste, il proteste contre l'accusation d’avoir eu plusieurs maîtresses, — Je n’en ai eu qu’une, déclare-t-il, c’est Joséphine Guiot, veuve Guyon. Et encore parce que, lors de la visite que je lui ai faite, elle s’est pour ainsi dire jetée à ma tête, et que je n’ai pu me défaire d’elle. Mais telle n’est pas absolument la version de la veuve Guyon — impliquée, d’ailleurs, dans la pour suite, et qui, ayant été laissée en liberté provisoire, a dû se constituer prisonnière ces jours-ci pour comparaître à côté de son amant. — C’est bien Suire, affirme-t-elle, qui m’a formelle ment demandé de devenir sa maîtresse en me promet tant des secours. Que vouliez-vous que je fisse avec mes enfants et ma vieille mère ? J’ai cédé. Il me don nait 25 fr. par mois, mais c’est encore lui qui profitait le plus de cet argent. Jui eu deux enfants de lui, dont un seulement sur vit, ainsi qu’un enfant n6 de mon mariage t... Quand j'ai appris sa conduite avec les autres femmes, j’ai été indignée et j’ai fait connaître ce que j’ai soupçonné alors seulement. La femme Guyon proteste, en effet, de sa bonne...