Extrait du journal
LA STATUE DE HENRI V A AURAY Quand on quitte à Auray le chemin de fer, pour gagner Vannes par la route de voitures — ce qui est le seul moyen de visiter, en passant, Sainte-Anne d’Auray — on a, ou du moins on peut avoir une surprise assez vive. On peut avoir cette surprise, parce qu’il arrive qu’on voyage avec un guide qui ne soit pas de date toute récente, et aussi parce qu’au milieu des in nombrables statues que la frivolité contemporaine érige un peu partout, à tort et à travers, on est bien excusable d’oublier quelque inauguration, eût-elle ôté retentissante. Toujours est-il que je ne m’atten dais, en aucune manière, l’autre soir, à voir surgir sous mes yeux le monument élevé par les fidèles du comte de Chambord, à la mémoire de ce prince, de vant Sainte-Anne d’Auray. Si je m’y étais attendu, l’impression eût peut-être été médiocre. On ne court les routes que pour y se mer des illusions ; et qui vient de visiter, dans l’après-midi, les alignements de Carnac, en s’affli geant de les trouver si peu sensationnels, si peu suggestifs, est préparé d’avance à d’autres décon venues. Mais je ne songeais guère au comte de Chambord, tout occupé que j’étais à goûter le charme de la campagne bretonne, dans cette fin de soirée. Il y a là un coin vraiment alpestre, avec une forêt de pins, des rochers, un ruisseau sonore, et de maigres troupeaux qui paissent l’herbe rare de la lande. Cela s’appelle, je crois, la vallée de Tréauray. Vision charmante, qui bientôt a fui. Tout à coup on aperçoit, à droite, un champ, clos de murs sur trois côtés, avec une grille de fer par devant. Au milieu de ce champ, le monument du comte de Chambord. La statue repose sur un haut piédestal de granit. Aux quatre coins, des figures allégoriques. Au som met, le prince agenouillé, dans l’attitude de la prière, la face tournée vers l’église Sainte-Anne. Autant que j’ai pu eh juger, par l’obscurité nais sante, le manteau royal couvre les épaules du comte de Chambord. La couronne est posée à terre, devant lui. L’artiste a-t-il voulu dire par là que le comte de Chambord n’aurait eu qu’à se baisser pour la pren dre? Pour la prendre, oui, peut-être, étant données les dispositions de l’Assemblée nationale, vers 1874Mais pour la garder? Au surplus, ce n’est pas tant l’image d’un roi que celle d’un saint en oraison. L’ensemble ne manque ni de grandeur, ni d’élo quence. Trop d'éloquence, il me semble, dans cette posture, dans ces attributs, dans l’emplacement même et l’orientation choisis. Cela parle à l’enten dement plus que cela ne plaît aux yeux ; et l’on ou blie l’œuvre d’art,, pour ne songer qu’au fait histo rique. Cette région d’Auray est pleine de souvenirs chers à l’âme royaliste, mais tous funèbres. Sans remon ter jusqu’à la bataille d’Auray, et à du Guesclin, la plaine de Kerzeau renferme le Champ des Martyrs, où furent, passés par les armes près d’un mil liers de « blancs » sous la Révolution. La piété de la Restauration a élevé une chapelle expiatoire sur le lieu de l’exécution, Gallia mœrens posuit est-il écrit sur la porte. Les fidèles qui ont sou scrit pour la statue du comte de Chambord se se raient sans doute approprié bien volontiers cette formule. A quoi bon la discuter ? Le style d’épitaphe a droit à toutes les indulgences. Et où serait-il mieux à sa place que dans ce cimetière de l’idée monarchi que?...
À propos
Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.
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