Extrait du journal

Tu me reconnaîtrais à peine, si tu me voyais en pantalon et veste de coutil gris, là tête rasé, la peau brûlée, causant gaie ment autour d’une cuisine en plein air, car ici Ton a à peine le temps d’être grave et d’être triste. Pourtant, les souvenirs chers ontaccès sous la tente. Les nuits étoilées, pures et fraîches comme celles des jardins paisibles où tes compagnes et toi vivez des paifums de la terre, raniment ici, comme en France, l’espérance et la foi. Les cons tellations sont les mêmes; l’éclat et la splen deur du ciel sont admirables. La nature est belle partout. Je vois chaque jour l’aurore; je la salue comme présage de l’avenir riant, et le soir je suis des yeux les rayons d’or qui s’en vont comme de belles âmes, ne laissant de leur passage que le souvenir. Souvent, la nuit, je sors. Au lieu des allées ët ve nues, au ïieü des gais propos du jour, le silence règne. L’écho des vagues lointaines trouble seul, par un faible bruit, le calme profond de la nature. Alors je pense au pays; je pense à notre mère qui veille péut-être inquiète sûr ses enfants; je pen se à vous tous, mes frères, mes soeurs ; je pense à l’amie disparue, et mon âme, écrasée de tristesse, se courbe soüs la puis sance de Dieu. Je passe ainsi de longs instants, pénétré de la majesté qui m’en toure. L’aube quelquefois me surprend. Je la vois blanchir l’horizon et la mer, je vois les étoiles pâlir; puis le jour vient, majesté nouvelle. Je vais à mes travaux. Je me plais ici ; mais je m’y aimerais mieux si Ernest était là ; je suis trop seul. Je voudrais, en compensation de l’éloigne ment, recevoir beaucoup de lettres. Je n’én ai encore reçu que deux. Toi, ma chère Fanny, écris-moi. Je sais bien qu’à l’heure qu’il est, une lettre de toi est en mer; j’en suis sûr, car tu as dû mé répondre sitôt ma lettre reçue. Mais elle est bien longue...