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Le Temps, 12 juillet 1898

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Le Temps
12 juillet 1898


Extrait du journal

bulletin de l’étranger CRÀNDEUR ET DÉCADENCE D’UN POLITICIEN M. Chamberlain, si longtemps le favori de la .fortune, qui d’un manufacturier ultra-radical • de Birmingham a fait en vingt ans l’un des chefs du parti conservateur, le collègue et le rival de lord Salisbury, n’aurait-il plus le vent en poupe ? Depuis quelque temps, on dirait que ses petites habiletés se retournent contre lui; que ses manœuvres échouent, que ses intri gues sont déjouées et, pour nous servir d’une ■expression vulgaire sous la forme pédantesque que lui a donnée un adversaire du ministre des •colonies partagé entre le goût des métaphores •pittoresques et le sens des convenances, que ses expectorations retombent sur son appendice nasal. Tout le monde a présent à la mémoire ce long conflit entre le premier ministre et son in docile lieutenant. M. Chamberlain s’est efforcé de profiter du courant de chauvinisme qu’il avait contribué à déchaîner dans le pays. Il a tenté de louvoyer entre son désir de tirer son épingle du jeu, de répudier toute solidarité avec la politique étrangère d’un ministre dont àl accusait la faiblesse, et son besoin de rester dans le cabinet, de ne pas rompre avec le parti dont il espérait recueillir, dans la succession de lord Salisbury, le commandement. On lui doit cette justice qu’il a fait des pro diges d’adresse, et que, s’il a fait preuve — -somme déjà au temps du ministère Gladstone et de ses communications secrètes aux Irlandais de iParnell — d’une absence de scrupules et d’une largeur de conscience tout à fait remarquables, .il a en même temps déployé une rare souplesse -d’esprit et une élasticité sans égale. Cette lutte A eu ses incidents mémorables. Le discours de Birmingham où le secrétaire des colonies avait jeté par" dessus bord, avec une désinvolture étonnante, la diplomatie de lord Salisbury en Chine, où il avait formulé une politique à son propre usage et marquée au coin du jingoïsme, où il avait provoqué gros sièrement la Russie et le tsar, proclamé l’urgent .besoin d’alliance de l’Angleterre et gauchement sollicité l’aide et l’appui de l’Allemagne et des 'Etats-Unis, — ce discours-programme avait été traité par le premier ministre avec une déli cieuse affectation d’indifférence et un dédain Dlus cuisant que tous les sarcasmes du monde, interpellé à la Chambre haute, lord Salisbury avait feint de n’avoir qu’un souvenir très con fus du langage de son subordonné et avait re fusé de discuter une harangue dont il n'avait pas eu le texte sous les yeux. - Un trait si piquant, parti de la main de celui que Disraeli jadis avait proclamé le maître in comparable en fait d’ironie cruelle ou de raille rie à l’emporté-pièce sans avoir l’air d’y toucher, blessa jusqu’au fond du cœur un politicien peu .endurant. M. Chamberlain dut encore su bir l’humiliation de se voir implicitement dés avouer aux Communes par M. Balfour, par M. Uurzon et par tous ses collègues. S’il montra dans cette séance vengeresse un .^tonnant empire sur lui-même, le calme appa rent d’un homme qui se dompte et qui s’est fait un front d’airain ; s’il s’accorda le dangereux .plaisir de mettre le gouvernement devant le di lemme embarrassant d’accepter une certaine solidarité avec ses incartades les plus compro mettantes ou de courir le risque d’une défection un le débarquant, il n’est, en fait de représailles, .que l’insuffisante joie d’un Tu quoque ou plutôt • d’un Ego quoque : et les rieurs ne furent pas tous de son coté quand, avec une impertinence trop visiblement préméditée, il déclara à son tour n’avoir pas lu le discours de lord Salis bury. Depuis lors, les mésaventures se sont multi pliées. Le député de Birmingham a toujours eu l’inconvénient d’être entouré de parents et d’a mis qui le compromettent en l’exploitant et peut-être plus encore en le ridiculisant. On s’a musa, on se scandalisa aussi un peu, lors de la formation du ministère unionniste, en 1895, de voir la famille Chamberlain, père, fils, beaufrère et cousin, s’attribuer dans le partage des places une sorte d’égalité avec la famille Salis bury, oncle, neveux, beau-père et gendres, qui ■ détient tant de portefeuilles de premier ordre. Encore les Cecil sont-ils, par droit d’hérédité, .une famille gouvernante depuis le seizième .siècle et « les temps spacieux » d’Elisabeth, tan dis que les Chamberlain... Un frère du ministre, qui est à la tété de la grande fabrique d’armes et de munitions Kynech et C“, à Birmingham, a commis un man que de tact extraordinaire en se plaignant, au nom des intérêts d’une maison qui fournit im partialement des instruments de mort à toutes les nations du globe, y compris les ennemis de •l’Angleterre, des résultats de la politique de lord Salisbury au point de vue de la vente des pro duits de ses usines. Un autre membre de la gens, M. Powell Williams, qui occupe une place secondaire dans l’administration, a choqué lés instincts les plus profonds de l’âme nationale et provoqué fqrce gorges chaudes en affirmant sé rieusement que M. Joseph Chamberlain avait d’ores et déjà mieux mérité du pays que M. Gladstone dans toute sa carrière etqu’il en avait déjà été récompensé par une gloire plus pure.

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

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