Extrait du journal
TACTIQUE RAISONNABLE Dans la réponse qu’il adresse au cardinal Langénieux et dont on trouvera plus loin des extraits, M. l’évêque de Beauvais nous paraît indiquer le terrain sur lequel il est indispensa ble de se placer pour combattre la loi récem ment votée par le Parlement. « J’estime, dit-il, qu’il convient de céder, de payer le nouvel im pôt, quelque onéreux qu’il soit, puis de faire entendre des remontrances respectueuses et d’user des droits de revendication régulière pour corriger les abus de cette législation fis cale. » Comment, en effet, ne pas avouer que c’est la seule tactique possible, si l’on réfléchit à l’obli gation qu’impose l’idée seule de la loi réguliè rement élaborée et promulguée, surtout dans un pays de suffrage universel, où la puissance’ législative est une émanation directe de la sou veraineté nationale? Annoncer d’avance que l’on ne se soumettra pas, que l’on opposera la résis tance aux agents chargés d’exécuter la loi, n’est-ce pas prendre une attitude à laquelle on ne peut, en vérité, appliquer qu’une épithète, celle de révolutionnaire. Assurément, nous n’ignorons pas que les pen seurs de tous temps, depuis Sophocle et Platon jusqu’à Cicéron et Montesquieu, sans oublier saint Thomas d’Aquin, se sont élevés contre la doctrine d’après laquelle le législateur — roi, assemblée aristocratique ou populaire — pour rait tout et créerait, en quelque sorte, le juste et l’injuste. Antigone a raison de protester con tre l’ordre impie de Gréon et de,rendre, malgré la volonté du tyran, les honneurs funèbres a la dépouille de son frère. De même on n’est point tenu d’obéir à toute autre loi violant les droits sacrés, éternels èt imprescriptibles de la con science humaine. Il y a, comme le dit Mon tesquieu, des rapports de justice antérieurs et supérieurs à tous les codes et quiconque les foule aux pieds, fût-il investi de la plus haute autorité, ne mérite plus le respect. Mais * ces droits naturels qui découlent immédiate ment de la dignité d’homme, le domaine n’en est pas illimité: ils se rattachent tous à l’exercice normal et rationnel du libre arbitre. Je suis un être libre, donc j’ai le droit de disposer de ma personne, tant que je ne porte pas atteinte à la personne d’autrui ; j’ai le droit d’adorer ou de ne pas adorer Dieu et de pratiquer un culte, tant que je ne porte pas atteinte aux croyances d’autrui ; j’ai le droit de travailler ou de ne pas : travailler, tant que je ne porte pas atteinte à la liberté du travail d’autrui, etc. Ces droits, la déclaration de 1789les a formulés d’une maniè re précise, et, croyons-nous, définitive. Pour les nations modernes, voilà la charte à laquelle on doit toujours se reporter, le critérium posi tif permettant de résoudre les difficultés du genre de celle que nous examinons. Or qui ne voit qu’une question de taxe.de fixation du taux de l’impôt, ne saurait, par son essence môme, rentrer dans la catégorie de ces droits naturels et supérieurs? On pourrait d’au tant moins le soutenir que la discussion récente au Parlement n’a pas visé, en somme, le prin cipe même du droit d’accroissement. Tout le monde semblait reconnaître qu’il y avait bien là un phénomène spécial de nature a justifier la taxation. Seulement les avocats des congréga, tions estimaient excessifs les chiffres proposés par le gouvernement et surtout ceux qui ont été finalement adoptés. C’est donc, à vrai dire, sur une question de tarifs que porte le diffé rend. Or qui pourrait prétendre qu’une affaire purement fiscale engage les droits naturels, violente les consciences et rend par conséquent légitime la résistance à la loi ? Mais, dit-on, ces-droits sont exagérés ; ils im posent à certaines congrégations des charges écrasantes! — La-chose est possible et, pour notre part, nous avons regretté que la Chambre n’eût pas eu la sagesse de s’en tenir à une taxa tion plus modérée. Mais est-ce une raison suf fisante pour justifier la rébellion ? Croit-on que les tarifs de douane votés par la précédente lé gislature n’aient pas pesé d’un poids très lourd sur certaines industries et certains commer ces? N’a-t-on pas entendu les doléances de ré gions autrefois prospères et maintenant plus qu’àdemi-ruinéesparla rupturedenos relations economiques avec plusieurs marchés étrangers? Qu’aurait-on dit cependant si des syndicats de négociants avaient proclamé qu’ils n’obéiraient pas à la loi nouvelle, qu’ils refuseraient de payer les droits et laisseraient plutôt saisir leurs marchandises? Ne leur aurait-on pas rappelé que les citoyens ont pour premier devoir de s’incliner devant une loi purement fiscale, donc n’empiétant pas sur le domaine de la conscience, quitte à organiser, s’ils le jugent convenable, une active propagande pour obtenir, par les voies légales, la modification ou l’abrogation de la loi? L’analogie n’est-elle pas évidente et des deux côtés la méthode ne devrait-elle pas être iden tique? II y a en France, s’écrient les journaux catholiques, des millions de croyants dont vous blessez les sentiments. Mais, s’il en est ainsi, si leur foi est sincère, quoi de plus simple que de lui demander d’agir? Tâchez.de démontrer au Parlement que ce qu’il a voté n’est pas conforme à l’équité, et, si le Parlement n’accueille pas vos vœux, tournez-vous du côté du suffrage univer sel. Persuadez aux électeurs qu’ils doivent nom mer des représentants résolus à changer les ta rifs. Pour que ce changement se produise, il faut que la minorité devienne la majorité. Dans un pays démocratique, où tout dépend en der nière analyse de l’opinion, il n’est pas d’autre moyen — abstraction faite, bien entendu, des violences révolutionnaires — de transformer la législation existante. Ces réflexions frapperont de plus en plus, semble-t-il, ceux qui ont mission d’éclairer et de guider les catholiques français. Commencer par obéir à la loi, puis ne rien négliger pour en faire disparaître ce qu’elle peut offrir d’excessif et d’injuste, n’est-ce point la seule tactique ca pable de concilier les devoirs du citoyen et du chrétien ?...
À propos
Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.
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