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Le Temps, 13 janvier 1894

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Le Temps
13 janvier 1894


Extrait du journal

pas eu tous les biens à la fois ? Quelle idée de poser des conditions, de faire un traité ? A quoi bon ? Pourquoi ne pas s’aimer tout simplement? Le reste serait venu de soi, ensuite. C’est ce qui lui donna la force de se débattre. A plusieurs reprises, il essaya de se rapprocher d’elle, de la prendre dans ses bras, car elle avait en parlant quitté son refuge de marbre ; très animée par la discussion, elle allait et venait dans le salon, l’effleurant parfois de sa robe, mais sans s’arrêter assez pour qu’il pût la sai sir. Et puis, malgré. le peu d’expérience qu’il possédait des femmes de cette trempe, Ardiane sentait que ce qui lui avait réussi avec d’autres pourrait bien échouer avec celle-là... — Enfin, dit Mar’Ivanna.en se plaçant dâns l’embrasure de la porte qui conduisait au salon voisin, j’ai dit : c’est ma volonté. J’ai fait un vœu, j’ai juré devant la vierge d’Ivers que je resterais pure. J’ai juré aussi autre chose : si vous deveniez criminel — et ce serait criminel de m’entraîner au péché—j’ai juré dè vous arra cher de ma vie. Si, par surprise de votre part ou défaillance de la mienne, je devenais indigne de regarder mon mari en face, je ne vous re-verrais jamais, jamais, j’en renouvelle ici le serment 1 Il la regarda et comprit qu’elle disait vrai. La comtesse n’était pas de celles qui vivent avec leur faute et font bon ménage avec leurs remords; en voulant tout avoir, il perdait tout. Un bel élan sincère, car il était sincère de temps en temps, l’emporta à son tour. — Eh bien soit ! dit-il, soyons en effet incom parables. Et pourtant, si vous saviez combien je vous aime, combien je vous souhaite, com bien j’ai faim de vous 1 Mais ne craignez rien de moi, Mar’Ivanna 1 Je ne voudrais pas vous coûter une larme 1 Il s’agenouilla devant elle et baisa le bas de sa robe. Elle posa une main sur sa tête inclinée. — Cyrille, dit-elle, je te bénis dans ta vie nou velle. J’appelle sur toi la prospérité avec les grâces du Seigneur. Et qu’il nous pardonne de nous aimer, puisque nous renonçons au péché, d’une seule âme, juste et satisfaite. Elle traça sur le front du jeune homme un rapide signe de croix, selon la coutume russe. — Embrasse-moi, maintenant, lui dit-elle, pour l’éternelle séparation. Tu es mon frère et...

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

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