Extrait du journal

TEMPS PERDU Les écoliers, dans leur vieille grammaire de Lhomond, apprennent que le temps perdu ne se retrouve jamais. La Chambre, nous semble-t-il, ferait bien de méditer ce précepte de l’antique sagesse. Il ne faut pas lui cacher que l’opinion publique est étonnée du peu de zèle que nos législateurs ont paru mettre jusqu’ici à re prendre leurs travaux parlementaires. On a inscrit dans la Constitution que la session lé gislative ordinaire devait chaque année recom rnencer le second mardi de janvier. Mais à quoi sert cette précaution, à quoi servent les meil leures lois lorsqu’il n’y a pas la volonté ferme de les observer? En apparence, la Constitution a bien été obéie; le Palais-Bourbon a ouvert ses portes au jour marqué. Mais cette première séance a été. vaine. Par l’effet de l’absence des uns, et de l’abstention volontaire des autres, ceux qui s’étaient montrés exacts au rendez-vous ont dû s’9n retourner sans avoir pu rien faire. Le quo rum n’était pas atteint; nul vote ne pouvait être valablement exprimé. L’ouverture de la session a donc été, en réalité, ajournée au jeudi suivant. Le bureau de la Chambre allait-il du moins être constitué ce jour-là? On pouvait le croire. Jamais- il n’y eut moins de difficulté dans la conduite de cette opération. Personne n’hési tait. Ceux qui devaient être élus tout naturelle ment l’ont été comme ils auraient pu l’être le premier jour. Mais cette seconde séance n’a pas suffi. Il reste quatre secrétaires à désigner. Ce scrutin va prendre encore la journée d’au jourd’hui. Voilà donc toute la première semaine de la session parlementaire perdue pour une opération qui aurait pu et dû se faire en un jour. Ce n’est pas un départ heureux. Ces‘retards ne représentent pas seulement une sérieuse perte de temps alors que tant de graves questions économiques et financières sont pendantes. Ils ont encore pour effet, d’une part, de décourager les hommes de bonne vo lonté, de rendre plus difficiles les décisions du gouvernement et surtout d’ouvrir la porte aux intrigues de couloirs, et à cette diplomatie du radicalisme dont tout le dessein est de- désagré ger la majorité de gouvernement pour la ren dre impuissante et se substituer à elle. Voilà le danger des heures perdues et des journées par lementaires vides. La mauvaise herbe croît aussitôt sur les terres qui sont négligées. On l’a bien vu par la tentative qu’ont aus sitôt faite les radicaux pour s’emparer par surprise de la majorité des sièges de viceprésidents. Elle a été déjouée et même elle a tourné à leur confusion. C’est très bien, mais le jeu n’est pas à recommencer. Des circonstan ces pourraient se présenter où la majorité en deviendrait sûrement la victime. La semaine prochaine, par exemple, on va nommer sans doute des commissions très importantes dont la création a été décidée. N’est-il pas urgent que la majorité s’en préoccupe et s’assure, par sa discipline et son assiduité, la part prépondé rante qu’elle y doit avoir? Pour faire œuvre utile et suivie, il s’agit de mettre la main sur les instruments de travail et de ne pas les lâcher un instant. Autrement, d’autres ne manqueront pas de s’en saisir, et des conflits insolubles surgi ront d’où l’on verra sortir une fois de plus le gâchis et la stérilité....