Extrait du journal

vouloir individuel ? Une poignée d’anarchistes menace, .violente, bouleverse une société qui presque unanimement réprouve l’anarchie, la flétrit, en a horreur. Quel cas faites-vous donc, vous anarchistes, du vouloir de ces millions d’hommes qui ne sont pas anarchistes? NiDieu ni maître! dites-vous. Soit, pour vous? peutêtre, la formule est exacte. Mais moi, si je ne suis pas anarchiste, n’ai-je pas en vous un maî tre, et votre dogme féroce ne m’impose-t-il pas le culte du plus redoutable des Molochs? Logiquement, la société anarchiste ne doit et ne peut comprendre que des volontaires. Y.ac céderont tous Ceux qui rêvent la subversion de l’ordre social actuel et l’avènement d’un ordre social dans lequel la fantaisie illimitée du pro pre arbitre remplacera toutes les règles, toutes les lois. Quant aux autres hommes, ils seront dispensés d’en recevoir un avant-goût sous forme de bombe ou de machine infernale, puis qu’ils déclarent expressément ne pas tenir à changer de genre de vie. Ce. point vaut la peine d’être établi, car, à supposer que les théoriciens de l’anarchie voulussent bien se rendre à l’évi dence qu’il comporte, peut-être y aurait-il moyen de s’entendre avec eux. Le monde, quoique chétif, est encore assez grand pour qu’il s’y trouve quelques coins où l’expérience du régime anarchiste pourrait sans inconvénient être instituée au bénéfice de ceux qu’elle tente. Chaque pays ouvrirait aux natio naux qui en exprimeraient le désir un asile suffisamment éloigné pour que les effets fâ cheux de l’expérience, s’il doit s’en produire, ne l’affectent point dans ses œuvres vives; et là, entre associés pleinement d’accord sur le but, sur les moyens, on essayerait d’inaugurer des relations sociales conformes a l’idéal anarchiste. Si l’expérience tournait mal, ceux-là seulement en auraient pâti qui avant de s’y embarquer auraient pris leur parti d’un échec éventuel* Si elle tournait bien, il serait toujours temps à d’auttes de grossir l’équipe, probablement res treinte, des pionniers. Ainsi s’opérerait un dé part équitable entre les individus qui préfére raient la vieille société avec ses inconvénients, ses abus, sa sécurité relative, et les individus qui n’hésiteraient pas à courir de grands ris ques pour conquérir l’Eldorado de leurs rêves. Ainsi surtout serait consacré le principe anar chiste : la souveraineté du vouloir de chacun, l’absolue autonomie des consciences. Et pourquoi, après tout, ne mettrait-on pas les théoriciens au pied du mur en leur offrant le moyen de réaliser quelque part cette expérience ? Les journaux allemands parlaient naguère d’une expédition qui s'organisait dans un port quel conque de la mer du Nord pour aller à la décou verte d’une terre vierge propice à l’établisse ment du régime anarchiste. Voici que l’Italie affecte à ses anarchistes le séjour d’Assab. La France pourrait, de même, désigner une posession dont l’accès ne serait pas seulement ouvert à des condamnés, mais de préférence à des émi grants convaincus. Le jour où les anarchistes n’auraient plus qu’à en exprimer le désir, pour sortir des cadres d’une société si mal faite, ils perdraient leur principal grief contre les nonanarchistes. Cette application du « chacun chez soi », qui serait le triomphe de la logique, aurait en outre des avantages pratiques sur lesquels il est bien inutile de s’appesantir....