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Le Temps, 20 août 1894

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Le Temps
20 août 1894


Extrait du journal

rité moins six des Conseils généraux. Comme on le voit, « le vœu de la nation » varie selon les interprètes; mais l’idée de considérer les Con seils généraux comme des intermédiaires natu rels entre le suffrage universel et les pouvoirs législatif et exécutif est commune à nos deux confrères. Avec une différence, toutefois. La Lanterne ne se dissimule pas et ne dissimule pas qu’en engageant les Conseils généraux à faire enten dre une protestation, un avertissement, elle les convie à se mêler de politique. La loi,.il est vrai, interdit aux assemblées départementales de faire de la politique; mais on sait quel est, en général, le respect de nos radicaux pour les lois. Elles se divisent à leurs yeux en deux caté gories : celles qui peuvent servir contre les ad versaires, et celles-là, on les respecte, on monte jalousement la garde autour; puis, celles qui gênent; et celles-là, on les tourne, à moins qu’on ne les viole, ce qui n’est qu’une manière plus franche de les tourner. La Lanterne ne dis cute même pasl’objection: il esté vident pour die qu’aucun scrupule ne .peut ni ne doit arrêter, les Conseils généraux. M. Yves Guyot, au con traire, s’applique à démontrer que son projet de vœu n’est pas en contradiction avec les ter mes de l’article 51 de là loi de 1871, et que les différents objets auxquels il touche rentrent soit dans les « questions économiques », soit dans les « questions d’administration générale » qui sont du domaine des assemblées départemen tales. La démonstration de M. Yves Guyot est fort ingénieusement conduite, ce qui ne sur prendra personne. Il nous paraît toutefois assez difficile de soutenir que ces termes « les ques tions, d’administration générale » enveloppent, par exemple, la répression de l’anarchie ou la réfutation du collectivisme, et que les Conseils généraux qui manifesteraient sur ces divers points n’excéderaient en rien les limites de leur compétence. A supposer qu’ils ne fissent pas de politique, ils ferment tout au moins de la polé mique. Est-ce bien leur fonction propre? La polémique ne chôme ni dans la presse ni à la tribune du Parlement, et ce n’est pas nous qui le trouvons mauvais. Mais est-il désirable qu’elle s’installe dans les Conseils généraux? Sans doute, la loi de 1871, en même temps qu’elle leur interdit les vœux politiques, leur réserve éventuellement un rôleadministratif qui est considérable. En outre, la part qu’ils pren nent aux élections sénatoriales oblige les élec teurs à voir dans les candidats des hommes de parti. Il n’en reste pas moins que des intérêts très spéciaux, très nettement définis, sont con fiés aux soins des Conseils généraux, et qu’ils ont une tâche plus que suffisante à remplir s’ils se bornent a la discussion et à la gestion de ces intérêts. Pourquoi rie pas ajouter qu’il serait fâcheux que les sessions des Conseils gé néraux ramenassent dans le pays tout entier l’état d’esprit des périodes électorales, ce qui ne manquerait pas d’arriver si, chaque soir, les adversaires politiques allaient à une sorte de rendez-vous pris d’avance pour se mesurer, se combattre, se déchirer? La vie politique est une chose excellente en démocratie, à la condition qu’elle n’envahisse pas tout, qu’elle n’étouffe pas tout autour d’elle et sous elle. Laissons-lui ses époques, qui sont les élections, les sessions des Chambres; laissons-lui ses organes, qui sont la presse et la tribune ; mais gardonsnous de la mettre partout et de la faire durer toujours. On ne saurait sérieusement soutenir, comme le fait le journal radical dont nous parlions tout à l’heure, que les Chambres ont besoin d’être informées des vœux du pays par l’entremise des Conseils généraux, sous prétexte que les membres de ces Conseils vivent en contact plus direct et plus constant avec leurs électeurs. Bonne pour le temps où les communications entre la campagne et la ville, la province et Paris, étaient lentes et rares; cette raison n’a aucun poids à l’heure actuelle. Si les députés ignorent les désirs et les vues de leurs commet tants, c’est qu’ils y mettent du leur, car, en vérité, les occasions ne leur manquent pas d’en être informés. Le système des comptes rendus de mandats s’est développé, et il n’offre que des avantages lorsqu’il est sincèrement,' loyale ment pratiqué. Nombre de députés parcou rent volontiers leur circonscription et y en trent en conversation directe, répétée, avec les électeurs. Ces députés ont parfaitement rai son, et l’exemple qu’ils donnent devrait être en core plus suivi. Voilà les vrais moyens pour la représentation nationale de se tenir au courant et de se mettre à l’unisson du pays. Quant à imaginer qu’il y ait place entre elle et lui pour une sorte de corps intermédiaire, ce serait, cro yons-nous, non seulement altérer la notion qu’il convient de se faire d’un Conseil général, mais encore porter une atteinte sensible aux principes mêmes de notre Constitution et faire un pas décisif dans la voie du gouvernement direct. Le lendemain du jour où l’on admettrait que les conseillers généraux ont à dicter leurs devoirs aux députés et aux sénateurs, on admettrait que le collège électoral doit agir de même à l’égard des conseillers généraux. Le gouverne ment serait transporté sur la place publique....

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

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