Extrait du journal

— Qu’avez-vous ? m’écriai-je. — Je souffre. Pourquoi ne me l’avoir pas dit plutôt? lui dis-je d’un ton de reproche; une branche vous a blessée t — Non; pourquoi êtes-vous revenu? , — Pour vous offrir mon aide. — Eva n’a plus besoin de vous? Le ton avec lequel la jeune femme prononça celte dernière phrase me frappa d’une idée subite ; les femmes ont le même orgueil que César, chacune d’elles veut être partout la première. — Je me suis Inquiété d’Eva, répondis-je d’un ton conciliant, parce que vous êtes une.femme et qu’elle n’est qu’une enfant, parce qu’elle est moins vaillante que vous. — Elle e6t jolie, cette enfant. — Et vous, vous êtes belle. Un sourire illumina le visage de la capitana, son sang afflua à ses joues et son regard troublant m’en veloppa. Elle saisit le bras que je lui tendis et je la sentis trembler. Elle, si alerte à l’heure du départ, s’appuya peu à peu sur moi jusqu’à devenir pesante* Elle avançait avec lenteur, s’arrêtant comme pour reprendre haleine, et oubliait de marcher. Lorsque nous rejoignîmes Eva, la capitana, sans lâcher mou bras, m'entraîna en avant. Je me retournais de temps à autre pour surveiller les pas de la jeune fille, qui me regardait souriante, avec une expression mali cieuse dont le motif m’échappait. Je connaissais trop l’action puissante des nerfs sur le moral des femmes pour m’étonner longtemps du caprice auquel avait cédé la capitana en nous rame nant à l’hacienda. Les grands bois silencieux, déserts, obscurs, avec leurs liâtes dont les tiges semblent de monstrueux serpents, leur monde animé d'insectes, leur végétation aux formes étranges, et les cris sau vages qui retentissent de temps à autre dans leurs profondeurs, fout naître des émotions dont un hom me n'est pas toujours maître, dont une femme vou drait en vain se défendre....