Extrait du journal

Il est encore une fois question de la monnaie de nickel. Le budget ne la dédaigne pas, car on propose d’en frapper encore une certaine quantité; mais les commerçants et les particuliers ont do la mé fiance. Malgré tous les bons avis, l’administration des finances et dés monnaies s’est obstinée à lancer dans la circulation une pièce qu’il est très facile —"et très désagréable — de confondre .avec la pièce d’un franc en argent. Lors de la première émission, les pièces de nickel étaient parfaitement rondes. On insista beaucoup pour obtenir uno modification, et nous eûmes une pièce un peu différente. La tranche présentait des pans coupés, mais en si grand nom bre qu’il fallait s’y appliquer pour les apercevoir. Et l’administration s’entêtait toujours, insensible aux vœux du public... On aurait vaincu toutes les résistances si l’on avait voulu consentir à nous donner uno pièce trouée au milieu, comme cela se fait en plusieurs pays. Mais cette idée fut repoussée, sous prétexte que la pièce de nickel, ainsi comprise, no serait pas esthétique. Rien de plus inexact et de plus sot qu’une telle objection. La beauté d’une matière quelconque ne résulte point de ce qu’elle est trouée ou pleine : tout dépend du motif de décoration que l’artiste aura conçu. Les ennemis de la pièce trouée sont des per sonnes suffisantes qui ne so donnent point la peine de réfléchir et qui imposent leur aphorisme avec l'autorité d’un tsar édictant quelque oukase. Ces personnes, avec toute leur prétention d’esthètes, n’ont probablement jamais visité une collection d’ob jets d’art. Elles auraient pu considérer avec profit des collections de gardes de sabres japonaises. Ce sont des morceaux do métal, fendus ou troués au milieu pour laisser passer le bout de lalame qui se fixe dans la poignée. Ce vide n’a pas empêché l’artiste do combiner d’exquises décorations ; et il est difficile do soutenir que ces objets d’art, môme séparés du sabre et rangés sous uno vitrine, aient un aspect inesthétique. L’artrdécoratif a précisément pour but do parer d’élégance un objet d’utilité. Il no s’agit donc pas de façonner cet objet selon une idée d’art préconçue, au risque de le rendre inutilisable. (Tel est le cas des pièces de nickel.) Il faut, au contraire, quo l’artiste s’ingénie à trouver le motif de décoration qui amu sera notre goût et distraira notre œil en lui mas...